Publié le 02 octobre 2015

ENVIRONNEMENT
Laurence Tubiana : "la COP 21 est la meilleure chance que nous ayons eue jusqu'ici pour lutter contre le changement climatique"
A J-58 de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Paris (COP 21), le bal des engagements s’accélère. 143 Etats ont rendu leur plan de lutte contre le changement climatique (INDC) à l’Organisation des Nations Unies (ONU) et les entreprises multiplient les annonces dans le cadre de l’Agenda des solutions. Pour Novethic, l’ambassadrice de la France chargée des négociations climatiques, Laurence Tubiana, fait le point sur la situation et les enjeux de cette conférence cruciale pour le climat.

Arnaud Bouissou/ministère Environnement et Développement Durable MEDDE
Novethic. La COP 21 est présentée comme une date butoir pour trouver un accord international sur le climat. C’était déjà le cas en 2009 à Copenhague avec le résultat que l’on connaît. En quoi cette COP est-elle novatrice ?
Laurence Tubiana. Ce n’est pas qu’une question de présentation : la COP 21 est l’échéance que se sont officiellement fixés tous les pays pour parvenir à un accord universel sur le climat. Copenhague, en 2009, était une première tentative. Elle n’a effectivement pas réussi sur ce plan, mais elle a permis de poser des jalons importants, comme l’objectif des 2°C de réchauffement à ne pas dépasser.
Les perspectives sont meilleures pour la conférence de Paris. D’abord, le sentiment d’urgence est de plus en plus partagé : les phénomènes climatiques extrêmes auxquels on assiste montrent que la préservation de notre planète est une question vitale, pas seulement pour nos petits-enfants mais pour nous, dès maintenant. Le consensus scientifique autour de l’origine humaine du dérèglement climatique est encore plus robuste et désormais peu contesté. Les technologies propres ont connu des progrès rapides : le prix du solaire a été divisé par deux en cinq ans, par exemple. Enfin, la mobilisation des pays est bien plus importante et la géopolitique a évolué : les Etats-Unis, sous l’influence du Président Obama, sont à nouveau moteur sur cette question ; les grands pays émergents, qui ne voulaient pas s’engager en 2009 au sein d’un accord mondial, sont désormais prêts.
Novethic. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) alerte depuis 25 ans sur les dangers du réchauffement climatique, les COP se succèdent chaque année depuis 20 ans… Vous qui êtes au cœur des négociations depuis des années, comment expliquez-vous que les décisions sur un problème aussi grave, international et documenté, prennent autant de temps ?
Laurence Tubiana. Les négociations sont compliquées parce que l’enjeu climatique lui-même est compliqué. Il touche au cœur de nos modèles de développement, notamment l’utilisation des énergies fossiles. Il affecte l’ensemble des Etats de la planète, même ceux qui ont peu contribué au problème. Et puis il y a un décalage de plusieurs décennies entre les émissions de gaz à effet de serre et les conséquences sur le climat. C'est donc un enjeu global. La communauté internationale n’a jamais eu affaire à un enjeu de cette nature : c’est, en quelque sorte, un "objet politique non identifié".
Cela signifie notamment qu’on ne peut pas adopter un traité qui résoudrait le problème d’un coup. On peut avoir un accord international parfait, sur papier. Mais si nos sociétés ne sont pas prêtes à produire et consommer autrement, à quoi bon ? Les entreprises, les collectivités, les citoyens doivent se mettre en mouvement aux côtés des Etats, et cela prend du temps.
Par ailleurs, je crois que la vision du défi climatique, trop souvent considéré comme un fardeau, a considérablement retardé les progrès. La culpabilité et la peur ne sont pas les meilleurs moteurs de l’action. Il faut montrer au contraire que la lutte contre le dérèglement climatique nous permettra de créer des emplois, d’améliorer la santé publique, d’aller vers une société plus solidaire et plus humaine. La transition vers des économies résilientes et faiblement émettrices en gaz à effet de serre n’est pas seulement nécessaire, elle est également souhaitable, voire désirable. Surtout, elle est déjà en marche!
Novethic. Pour le moment, les contributions publiées volontairement par les Etats ne permettent cependant pas de conduire à la trajectoire d’un réchauffement limité à 2°C. Quels sont les éléments qui pourraient amener les Etats à faire preuve de plus d’ambition, lors de cette COP mais aussi par la suite ? Et à mettre réellement en œuvre les engagements annoncés puisque les questions de mesure, de notification et vérification (MRV) sont encore en discussion ?
Laurence Tubiana. Avant même les contributions, qui ont pour horizon 2025 ou 2030, il nous faut agir au maximum avant l’entrée en vigueur du futur accord (2020). Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ces années précieuses. C’est pourquoi la France porte avec le Pérou, qui présidait la COP 20, et les Nations unies le Plan d’action Lima-Paris visant à promouvoir les initiatives coopératives internationales sur le climat et la prise d’engagements volontaires par tous les acteurs. L’objectif est d’associer les acteurs non-étatiques aux côtés des gouvernements dans l’action pour le climat. Il y a là un vaste potentiel que nous avons à peine commencé à exploiter.
Ensuite, la question des contributions se pose bel et bien. Nous devrons, au cours du temps, réduire le fossé d’ambition. Cela passe tout d’abord par un objectif de long terme, qui traduise concrètement l’objectif des 2°C ou 1,5°C à échéance de la fin du siècle. Autre priorité : il faut que l’accord mette en place un mécanisme de révision régulière des objectifs fixés par les Etats, afin de réduire progressivement l’écart entre ce qui est sur la table et ce que réclame la science. Ces points ne sont pas encore acquis, mais ils seront essentiels à la crédibilité du résultat de Paris.
Vous mentionnez, à juste titre, les enjeux de MRV. Là encore, des débats subsistent, mais on semble se diriger vers un système commun de transparence, flexible en fonction des capacités de chacun. Ce sera essentiel pour renforcer la confiance entre les pays.
Novethic. Nicolas Hulot, l'envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète, explique que le succès de l’accord se mesurera aussi par les moyens mis en place pour mettre en œuvre les objectifs. L’un de ces moyens est l’investissement de milliers de milliards de dollars dans les technologies sobres en carbone pour les prochaines années. Or on peine déjà à mobiliser les 100 milliards de dollars promis en 2009 par les pays du Nord pour aider les pays du Sud à lutter contre le changement climatique. Comment les négociations en cours vont-elle permettre de réunir l’argent public nécessaire et de flécher l’argent privé vers une économie bas carbone ?
Laurence Tubiana. Un engagement a en effet été pris par les pays développés à Copenhague : en 2020, 100 milliards de dollars par an pour le climat distribués aux pays en développement. Attention tout de même, car il ne s’agit pas de 100 milliards de dollars provenant uniquement des pays mais de 100 milliards de dollars à la fois publics, parapublics et privés.
Cet engagement doit être tenu, et pour cela nous devons agir sur plusieurs fronts : le Fonds vert pour le climat, qui a été abondé avec plus de 10 milliards de dollars, financera bientôt de premiers projets ; un travail doit être engagé pour orienter l’aide au développement ; il faut également améliorer l’effet de levier des financements publics sur les financements privés. Un rapport que nous avons commandé à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) nous permettra bientôt d’avoir une idée plus précise du chemin déjà accompli vers les 100 milliards.
Enfin, il faut réfléchir de façon plus large : à terme, c’est l’ensemble des investissements qui doivent être redirigés vers l’économie résiliente et sobre en carbone. Nous devons créer les conditions économiques, politiques et réglementaires pour que cela se produise. Ce sera l’objet de la réunion ministérielle que nous co-organisons à Lima avec le Pérou, en marge des assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) : faire le point sur tout ce qui se passe au sein de la Convention climat mais aussi en dehors, au niveau les financements.
Novethic. Une autre question primordiale, qui est liée, est celle de l’adhésion des pays en développement à l’accord. Ceux-ci sont pour la première fois intégrés en tant que contributeurs à l’effort climatique (dans le Protocole de Kyoto, seuls les pays développés avaient des objectifs en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre). Quels sont les points clés en négociation qui vont permettre cette adhésion ?
Laurence Tubiana. L’enjeu majeur, ce sera de faire en sorte que ces pays ne perçoivent pas cet accord comme un obstacle à leur développement. Les financements, le transfert de technologies et le renforcement de capacités devront être à la hauteur de leurs exigences.
Par ailleurs, les pays en développement attendent des solutions pour les aider à faire face aux effets du dérèglement climatique : c’est la question de l’adaptation. Ils en ressentent déjà l’urgence sur le terrain et veulent que le résultat de Paris réserve à ce sujet une place aussi importante qu’à la réduction des émissions.
Enfin, il faudra reconnaître la situation particulière de certains groupes de pays : par exemple, les petits Etats insulaires en développement et les Pays les moins avancés (PMA), dont on ne peut pas attendre le même niveau d’efforts que les autres.
Novethic. En plus de l’accord attendu à Paris, l’Organisation des Nations Unies (ONU) et la France poussent l’Agenda des Solutions, qui regroupe les contributions volontaires des acteurs non étatiques, comme les entreprises ou les investisseurs. Quel rôle ces acteurs, qui ne sont pas dans les négociations officielles, peuvent-il jouer dans la lutte contre le changement climatique ?
Laurence Tubiana. Même s’ils ne seront pas parties à l’accord de Paris, ces acteurs peuvent venir en soutien du processus intergouvernemental. C’est très important car au moment de signer l’accord, il faut que les gouvernements sentent que le secteur privé, les collectivités, les investisseurs et l’ensemble de la société civile les soutiennent.
Or le meilleur moyen d’exprimer un soutien, c’est encore de s’engager soi-même, parfois aux côtés des Etats. Par exemple, une initiative de l’Union africaine a pour ambition l'installation de 10 gigawatts d'énergie renouvelable sur le continent d'ici 2020. Elle réunit des gouvernements, des investisseurs et des banques de développement autour de cet objectif et a notamment reçu le soutien du G7. Contre la déforestation, la déclaration de New York sur la forêt rassemble 150 partenaires – Etats, collectivités, entreprises et peuples indigènes – qui ont pour objectif de diviser par deux la déforestation d’ici 2020 et de d’y mettre fin en 2030.
Ces initiatives n’ont pas qu’un aspect symbolique. Elles peuvent contribuer à changer la donne : faire baisser le coût des technologies propres, faciliter l’accès au capital… De nombreuses entreprises, des villes et des administrations locales appellent désormais également à une décarbonisation massive, envoyant par là même des signaux positifs et créant les conditions nécessaires à la réussite de la conférence de Paris. Il faut aider les Etats à faire plus, mieux et plus vite – leur donner le sentiment du possible.
Novethic. Que se passera-t-il si, malgré tous les efforts réalisés, les Etats ne s’entendent pas pour signer un accord à Paris ?
Laurence Tubiana. Je ne pense pas que ce soit le risque principal : tous les pays veulent que la négociation aboutisse. Le vrai problème, ce serait d’avoir un accord au rabais. C’est pourquoi l’ambition est un de nos mots d’ordre : il ne faut pas nous contenter d’un accord a minima, il faut mettre les pays sous pression et garder cette tension jusqu'à la dernière minute.
Cela dit, soyons clairs : Paris ne sera pas le grand soir du climat, où l’on résoudra tout d’un trait de stylo. La COP 21 s’inscrit dans une tendance de fond : celle d’une transition mondiale vers des sociétés résilientes et sobres en gaz à effet de serre, qu’elle devrait contribuer à accélérer mais qui continuera de toute façon après elle.
Je ne pense donc pas que Paris soit, comme on l’entend parfois, la dernière chance pour le climat. Je dirais plutôt c’est que c’est la meilleure chance que nous ayons eue jusqu’ici.