Les usages de l’intelligence artificielle explosent avec l’apparition de technologies génératives telles que Midjourney, qui produit des images à la demande ou ChatGPT, capable de converser. Cette dernière se glisse partout. Depuis mars 2023, elle est intégrée comme un chatbot – un agent conversationnel – dans le moteur de recherche Bing et peut se connecter à de nombreux outils comme les messageries professionnelles Microsoft Teams et Slack. Les data centers doivent en conséquence redoubler d’activité.
"Des dizaines de milliers de modèles sont déployés en parallèle pour éviter aux utilisateurs d’attendre lorsqu’ils posent une question", explique à Novethic Sasha Lucioni, spécialiste de l’impact carbone de l’intelligence artificielle au sein de la start-up Hugging Face. Mais l’ensemble du secteur préfère occulter ce sujet comme le montre l’absence de mention des impacts écologiques de l’IA lors du premier sommet mondial sur les risques posés par l’intelligence artificielle qui s’est tenu en novembre dernier au Royaume-Uni. Pourtant, certaines estimations des émissions de CO2 donnent le tournis.
Une bombe climatique en vingt ans
Kasper Groes Albin Ludvigsen, fondateur de la Communauté danoise de Data Science, a tenté d’approcher celles de GPT4 -la dernière version de ChatGPT-, en utilisant les données techniques d’équivalents du secteur. Selon ses calculs, si 3 milliards de personnes utilisaient GPT4 avec une trentaine de recherches par jour, les émissions atteindraient en vingt ans l’équivalent d’une
bombe climatique, ces méga projets pétroliers et gaziers qui vont émettre plus d’un milliard de tonnes de CO2 sur l’ensemble de leur cycle de vie.
"C’est un scénario extrême pour garder à l’esprit que chaque requête a un impact physique même si, isolément, celui-ci est faible", explique à Novethic le Data Scientist.
Mais à l’heure actuelle, le bilan carbone des IA les plus populaires reste inconnu. "Il y a un énorme manque de données, nous ne savons pas combien il y a d’utilisateurs ni quelle est la consommation énergétique des data centers de ChatGPT", regrette le spécialiste. Et l’opacité empire. Contrairement à la version précédente, la taille du modèle de GPT4 reste secrète. Or "les modèles d’IA contiennent de plus en plus de paramètres", ajoute Sasha Lucioni. Cela peut rendre plus énergivore l’entrainement des modèles, une étape qui précède l’usage et doit être réitérée pour les mises à jour.
"Depuis novembre dernier, les entreprises du numérique ont arrêté de publier des données qu’elles transmettaient auparavant comme la consommation énergétique des data centers ou le temps de calcul des entrainements, explique Sasha Lucioni. C’est la société OpenAI, fondatrice de ChatGPT, qui a lancé cette dynamique en ne divulguant rien sur ChatGPT". Contactés par Novethic, Microsoft, Google et OpenAI n’ont pas répondu à nos questions.
"L’IA incite à consommer plus"
Or tous les spécialistes l’assurent, les entreprises ont les moyens de calculer les émissions de CO2 associées à l’IA. Les paramètres sont mesurables :
"l’énergie nécessaire pour chaque requête et pour chaque entrainement",
"la fréquence des entrainements", mais aussi
"la quantité de CO2 émise par la production d’énergie", liste Sasha Lucioni. La même opacité subsiste pour la consommation d’eau alors qu’une étude évalue la consommation de ChatGPT à
une bouteille d’eau par conversation.
Restent en outre les émissions indirectes de l’intelligence artificielle.
"La plupart des émissions liées à l’IA viennent de ce pour quoi nous les utilisons. Par exemple, les algorithmes pour la publicité sur les réseaux sociaux l’utilisent massivement et cela incite à consommer plus de fast-fashion, un secteur très carboné", explique à Novethic David Rolnick, chercheur en intelligence artificielle et spécialiste de son impact sur le changement climatique à l’université McGill.
Greenpeace a aussi souligné dans son rapport "Oil in a cloud", publié en 2020, que Microsoft, Amazon et Google ont produit des algorithmes d’intelligence artificielle servant à augmenter la production pétrolière.
"De nombreux acteurs ont donc intérêt à ce qu’on l’on se concentre uniquement sur l’impact des calculs", affirme David Rolnick.