L’Afrique : une chance pour le climat
L’accès à l’électricité conditionne le recul de la pauvreté en Afrique. Le potentiel du continent en énergies renouvelables est considérable, tout comme ses réserves en énergies fossiles. Les gouvernements africains réclament un appui financier massif des pays industrialisés pour leur permettre d’emprunter la meilleure voie pour la protection de la planète.

Seyllou / AFP
Il y a quelques semaines, le Sénégal annonçait la mise en service de sa première centrale solaire, "la plus grande de l’Afrique de l’Ouest" : une unité de 20 mégawatts construite à Bokhol, à 400 km au nord de Dakar, qui permettra de fournir 160 000 personnes en électricité. Une communication bienvenue alors que se tient à Marrakech, du 7 au 18 novembre, la conférence annuelle des Nations Unies sur le climat. Une COP22 qui se veut résolument africaine.
En décembre 2015 à Paris, en marge de la signature du premier accord mondial de lutte contre le changement climatique, une Initiative africaine pour les énergies renouvelables avait été adoptée. Son objectif ? Engager le continent sur la voie d’un développement sobre en carbone, tout en apportant un début de réponse à l’injustice qui veut que plus de 600 millions d’Africains, soit 70% de la population, n’ont toujours pas accès à l’électricité. À Marrakech, cette initiative devrait prendre corps et une première liste de projets parmi les 240 identifiés par les États et les agences de développement pourrait être arrêtée.
Des énergies renouvelables sous exploitées
La pauvreté énergétique de l’Afrique (sa production totale d’électricité équivaut à celle de l’Allemagne et ses émissions de CO2 représentent 3% du total mondial) peut-elle être une "chance" pour la planète dans la lutte contre le dérèglement climatique ? L’ancien secrétaire général des Nations Unies, le Ghanéen Kofi Annan est un de ceux qui défendent cette idée. Le rapport publié en 2015 par Africa Progress Panel, le groupe de réflexion qu’il dirige, plaide dans ce sens.
Les arguments avancés sont solides : "Les systèmes énergétiques en Afrique sont à un carrefour. Les deux tiers des infrastructures nécessaires pour satisfaire la demande en électricité en 2030 n’ont pas encore été construites. Cette demande augmente au rythme de la croissance démographique, économique et de l’urbanisation. (…) Dans le même temps, aucune région ne possède un potentiel d’énergies renouvelables aussi peu exploité."
Pour autant, l’histoire ne s’écrit pas sur une page blanche. Kofi Annan reconnaît que le scénario idéal, qui verrait l’accès à l’énergie en Afrique couplé à un développement propre, "n’est pas garanti". La moitié des besoins en énergie est actuellement satisfaite par l’utilisation de charbon de bois ; il s’agit de la première cause de déforestation. Et près de l’autre moitié, par des combustibles fossiles. La part des énergies renouvelables demeure marginale.
Le Sénégal, qui s’enorgueillit de sa première centrale solaire, construit à Bargny, au sud de Dakar, une centrale à charbon vingt fois plus grande et rêve du pétrole et du gaz qu’il pourra produire après les récentes découvertes faites le long de sa côte atlantique.
La fièvre des hydrocarbures
Ce pays n’est pas le seul à être gagné par la fièvre des hydrocarbures. Les grandes campagnes d’exploration menées en Afrique de l’Ouest au cours des dernières années ont permis de découvrir des gisements qui font dire aux experts du Nord que la région est appelée à devenir l’un des grands centres de production mondiale.
À côté du Nigeria ( 11ème producteur mondial), de l’Angola, du Gabon, du Congo, de nouveaux pays bien décidés à ne pas se priver de cette nouvelle richesse sont ainsi apparus : Ghana, Mauritanie, Niger, Côte d’Ivoire, Bénin… Et le Mozambique disposerait de réserves de gaz aussi importantes que celles du Qatar.
L’Afrique est une des régions les plus exposées au changement climatique, mais son urgence immédiate reste de faire face au défi de la pauvreté. Une gageure alors que sa population doublera au cours des trente prochaines années.
Sans énergie, pas de développement. Il existe une étroite corrélation entre le revenu par habitant, l’indicateur de développement humain des Nations Unies et le niveau de consommation d’électricité par foyer. La grande majorité des pays africains occupe le bas de ce classement international. Avec un niveau d’émission de gaz à effet de serre de moins de une tonne par habitant, contre 5 pour la moyenne mondiale, les États africains estiment qu’ils disposent encore d’un "droit à polluer".
S’ils ont souscrit à l’Accord de Paris, ils n’oublient pas la responsabilité historique des nations industrialisées dans le réchauffement et conditionnent leur conversion à un modèle sobre en carbone à un large appui financier. Cette condition est rappelée dans les contributions nationales déposées dans le cadre de l’Accord de Paris. Et parfois de façon très précise.
Le Rwanda, qui met en œuvre un des plans de développement "décarboné" parmi les plus ambitieux, attend ainsi un soutien de 24,5 milliards de dollars d’ici à 2030 de la part des bailleurs occidentaux. L’Ouganda demande que 70% de ses besoins soient couverts.
Solutions alternatives
À côté de l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, il existe d’autres programmes d’appui aux pays africains. Certains ne visent pas le financement de grandes infrastructures comme le plus ancien d’entre eux, Lighting Africa. Lancé par la Banque mondiale en 2007, il revendique d’avoir apporté la lumière à 35 millions de familles, essentiellement grâce à de petits kits solaires.
La Banque africaine de développement avance avec un agenda plus ambitieux : son "New Deal" pour l’énergie en Afrique dévoilé l’an dernier promet une électrification du continent d’ici à 2025 grâce à un "partenariat révolutionnaire entre les institutions internationales, les gouvernements et le secteur privé".
L’ancien ministre français de l’Environnement Jean-Louis Borloo continue lui de défendre son plan Marshall pour l’Afrique. Dans ce paysage confus où les gouvernements africains eux-mêmes peinent à voir clair, une chose est sûre : le niveau d’investissements nécessaires à la transformation de l’Afrique requiert des efforts qui ne sont pour l'instant pas réunis. Au rythme actuel, il faudrait 2080 ans pour donner accès à l’électricité à tous les Africains, selon Africa Progress Panel.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) et l’agence pour les énergies renouvelables Irena ont fait les comptes : il faudrait investir en moyenne 70 milliards de dollars par an au cours des 15 prochaines années pour réellement changer la donne. En 2014, un peu plus de 20 milliards seulement avaient été mobilisés.
Un vaste laboratoire
Les innovations technologiques apportent des solutions nouvelles qui permettraient d’améliorer la vie des populations les plus défavorisées, en particulier dans les zones rurales. Dans les régions vastes et peu peuplées, où il est impossible, pour des questions de coûts, de construire des infrastructures reliées à un grand réseau national, des projets d’électrification décentralisée se multiplient. L’Afrique est en est d’ores et déjà devenue le laboratoire privilégié.
Une récente évaluation de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) relève que sur les quelque 600 programmes développés à travers le monde, plus de la moitié sont en Afrique : mini-réseaux alimentés par de petites centrales solaires ou hydrauliques, kiosques énergétiques pour les communautés, pompes à eau solaires pour l’agriculture, lampes solaires dans les maisons… Pour que l’Afrique devienne le premier continent à découpler son décollage économique d’une consommation croissante d’énergies fossiles, l’enjeu est donc de changer rapidement d’échelle dans le déploiement des énergies renouvelables.
C’est un impératif pour contenir l’élévation moyenne de la température mondiale. À la fin du siècle, le continent pourrait compter 4 milliards d’habitants. C’est aussi à cet horizon que les experts du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) recommandent d’atteindre une neutralité carbone au niveau planétaire, pour parer aux conséquences les plus graves du changement climatique. Un objectif inatteignable si un quart de l’humanité est laissé sur le bord de la route.