Publié le 16 juillet 2021
ENVIRONNEMENT
[Édito] Après les annonces européennes, la France se retrouve avec une loi climat déjà obsolète
L’Exécutif a voulu faire de la loi Climat et Résilience un gage fort de son engagement climatique. Mais les nouveaux objectifs de la Commission européenne vont bien plus loin que les objectifs français en matière d’émissions de CO2. Emmanuel Macron se retrouve pris entre une loi obsolète à faire appliquer et un risque que de nouvelles exigences mettent en avant la nécessité de mener une transition juste qui ne lèse personne.

@ThomasSamson/AFP
La loi Climat et résilience, portée par la ministre Barbara Pompili, a pour ambition de donner au mandat d’Emmanuel Macron une dimension environnementale affirmée en engageant une réduction des émissions de CO2 de 40 % en 2030 par rapport à 1990. Pour cela, il s’agit d’agir sur mille leviers de notre vie quotidienne (pub, transports, logement…), comme le voulait la Convention citoyenne sur le climat. Le Sénat et l’Assemblée nationale viennent à peine de s’entendre sur un texte commun à faire voter dans les mois qui viennent. Et soudainement, même pas encore voté, le texte se révèle dépassé.
En effet, mercredi 14 juillet, la Commission européenne a publié 14 propositions très ambitieuses pour abaisser les émissions de l’Europe de 55 % en 2030. Ce plan, appelé "Fit for 55" ("paré pour les 55"), met en avant le prix du carbone qui deviendra l’alpha et l’oméga de l’action climatique, la fin de la vente des véhicules thermiques dès 2035 ou encore de nouveaux engagements sur l’impact du secteur agricole. "L'Europe est le tout premier continent à présenter une architecture verte complète : nous avons l'objectif, et désormais la feuille de route pour l'atteindre", se réjouit la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Le spectre de la transition juste
La France est tenue de décliner ce plan dans son droit. Plan qui va bien au-delà de ce que Paris envisage. Et chaque point d’émission de CO2 en moins est un chantier gigantesque. On peut arguer que les propositions de la Commission doivent maintenant être débattues par les 27 pays membres et que les intérêts des uns et des autres vont amener à réduire un peu l’ambition de Bruxelles. La diplomatie française par exemple se dit désireuse de laisser plus de place aux véhicules hybrides et veut modérer l’extension du marché carbone à de nouveaux secteurs.
La France a été échaudée par la crise des gilets jaunes dont l’étincelle a été la hausse des taxes sur les carburants. Elle sait combien est sensible la question de la transition juste. C’est-à-dire changer de modèle sans pénaliser les foyers les plus modestes. Or déjà que plusieurs secteurs industriels faisaient la moue en lisant les objectifs de la loi climat, ils sont alarmés par les objectifs européens. Dès la parution du plan, François Roudier, porte-parole de la Plateforme automobile assure que 150 000 emplois du secteur sont menacés. Ce qui est sans doute vrai. La transition d’un tel secteur va détruire énormément d’emplois et en créer d’autres (batteries, informatique…). Mais ce ne seront pas les mêmes postes.
Prudence de la France
Autre secteur inquiet dont on connaît le poids en France : l’agriculture. Si le premier syndicat, la FNSEA, dit juger "pertinent la proposition de la Commission", il fait aussi faire preuve de prudence. La fédération "s'interroge quant à l'éventuelle révision de la trajectoire nationale qui conduit à la neutralité carbone en 2050, déjà inscrite dans la loi française (…) Alors que la Stratégie Nationale Bas Carbone française est déjà extrêmement ambitieuse, sera-t-il possible de faire encore plus que prévu ?".
La situation d’Emmanuel Macron est délicate. Il doit faire appliquer une loi climat et résilience pour garantir son engagement climatique. Mais celle-ci est non seulement jugée insuffisante par les observateurs et elle ne permet pas à la France de tenir les engagements européens. De nouveaux engagements climatiques vont décrédibiliser la propre loi de son gouvernement et risquent de réveiller le feu de la colère sociale. Plusieurs ONG alertent déjà de l’impact du prix du CO2 sur le portefeuille des citoyens, c’est le cas du réseau Action Climat. Dans son discours du 12 juillet, le Président a parlé d’un nouveau concept, inconnu jusqu’alors. Il a dit vouloir "réconcilier la croissance et l’écologie de production". Personne ne sait trop ce qu’est "l’écologie de production", mais peut-être est-ce là sa solution à cette équation.
Ludovic Dupin @LudovicDupin