Un vent nouveau semble souffler sur les engagements climatiques des entreprises. Le groupe Nestlé vient ainsi d’annoncer qu’il renonçait à la compensation carbone comme moyen d’atteindre la neutralité carbone. Cette pratique permet à des entreprises d'équilibrer leur bilan carbone en finançant des projets bons pour le climat comme la plantation d'arbres ou la production d'énergies renouvelables. Ces projets génèrent des crédits carbone que les grandes entreprises comme Nestlé peuvent acheter afin de "compenser" leurs émissions et ainsi atteindre la neutralité carbone, sans réellement avoir entrepris de démarches de réduction.

Le plus grand groupe alimentaire mondial visait ainsi la neutralité carbone pour ses barres de chocolat KitKat ou encore l'eau Perrier d'ici 2025, mais cela passait majoritairement par la compensation carbone. Selon une information révélée par Bloomberg et confirmée par Nestlé à Novethic, le fabricant affirme "s'éloigner de l'investissement dans les compensations carbone pour [ses] marques pour investir dans des programmes et des pratiques qui aident à réduire les émissions de GES dans [sa] propre chaîne d'approvisionnement et opérations".

Ce n’est pas la première fois qu’une entreprise fait marche arrière sur ses promesses de neutralité carbone. Avant elle, la marque de luxe Gucci avait aussi décidé de renoncer à la compensation, seule moyen de parvenir aujourd'hui à la neutralité carbone. Et Easyjet, régulièrement pointé du doigt, a mis fin à la compensation carbone pour ses vols en 2022, préférant se concentrer sur une baisse de 78% de ses émissions de ses gaz à effet de serre d'ici 2050, grâce à des investissements dans des avions plus efficaces, les carburants durables, et des technologies pour optimiser par exemple la descente de ses avions.

81 recours en justice contre des entreprises pour greenwashing

Il faut dire que les polémiques se multiplient autour du marché des crédits carbone qui permet aux entreprises de se dire "neutres en carbone". En début d’année, l’enquête du Guardian et de Die Zeit avait révélé que plus de 90% de ces crédits étaient probablement des "crédits fantômes" et "ne représentaient pas de réductions réelles des émissions".

En outre, de plus en plus d’entreprises font l’objet de recours sur leurs allégations de neutralité carbone considérées comme du greenwashing. Nestlé, justement, était poursuivi depuis 2021 par deux associations de consommateurs en France pour pratique commerciale trompeuse concernant l’allégation de neutralité carbone de sa marque Nespresso, qui compense 95% de ses émissions en plantant des arbres au Pérou notamment. Les célèbres capsules avaient fait l’objet d’un reportage dans l’émission Cash Investigation, en février dernier. La journaliste s'était rendue dans une plantation et avait pu constater le manque de suivi, certains arbres ayant été coupés quelques années seulement après avoir été plantés. Et ce n’est pas la seule. Évian, filiale de Danone, est ainsi en procès aux États-Unis pour sa revendication de neutralité carbone.

Début juin, la Fifa (Fédération internationale de football association) était condamnée pour greenwashing pour avoir promue la Coupe du monde 2022 au Qatar comme "neutre en carbone". Plus récemment, 17 compagnies aériennes, dont Air France, ont été attaquées pour greenwashing et pratique commerciale trompeuse par 22 associations européennes devant la Commission européenne. D’après de nouvelles données compilées par l'Institut Grantham, 81 recours en justice contre des entreprises, accusées de promesses trompeuses ou de ne pas mettre en œuvre les efforts promis en matière de climat, ont été dénombrés depuis 2015.

La compensation carbone va disparaître en Europe

"On note que les entreprises sont de plus en plus frileuses à communiquer sur l’atteinte de la neutralité carbone grâce à la compensation", note Gilles Dufrasne, spécialiste des marchés carbone au sein de l’ONG Carbon Market Watch. "On peut dire que la compensation est en train de se terminer et qu’elle va quitter l’Europe dans les deux prochaines années, il y a une évolution très claire sur le marché en ce sens. D’ailleurs les entreprises qui labellisaient la neutralité carbone comme South Pole, Myclimate ou ClimatePartner, ont annoncé qu’elles arrêteraient de le faire", complète-t-il. De fait, selon des données publiées par Standard & Poors, on assiste à une baisse de l’offre de crédits carbone.

L'offre de crédits carbone chute après les récents scandales. Source : Standard & Poors, juin 2023.

Pour aider les entreprises à mieux communiquer sur leur utilisation des crédits carbone, la Voluntary Carbon Markets Integrity Initiative (VCMI), a lancé le 28 juin son code de pratique des allégations, dans lequel elle soutient un abandon du concept de compensation pour aller vers celui de contribution climatique. Ce qui implique non pas de réduire les investissements dans des projets climatiques mais simplement de ne pas les utiliser dans le bilan comptable de l’entreprise. Une certification sera proposée d’ici la fin de l’année permettant aux entreprises de "valider" leur logique de compensation. "Mais il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui pourront atteindre les pré-requis demandés tant ils sont ambitieux", constate Gilles Dufrasne.

Concepcion Alvarez