Publié le 15 décembre 2015

ENVIRONNEMENT

Climat : l’accord de Paris suscite espoirs et déceptions

L’accord de Paris, adopté samedi soir au Bourget, a suscité de nombreuses réactions partout dans le monde. La plupart des acteurs saluent un accord "historique" qui marque un tournant, mais certains regrettent qu’il ne protège pas suffisamment les pays les plus vulnérables. Tous appellent par ailleurs à ce que l’accord soit bien suivi d’actes. Novethic fait le point, deux jours après son adoption.

Des membres d'ONG protestent contre le projet d'accord sur le climat au Bourget, le 9 decembre 2015
Dominique Faget / AFP

"Une première dans l’Histoire", "un tournant pour l’humanité", "un momentum", "un signal fort", "un point de départ mondial", "un pas significatif", "un accord  décisif", "la roue de l’action pour le climat a tourné"… Les termes ne manquent pas pour saluer l’accord climatique adopté samedi 12 décembre par les 195 Etats membres de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Si la plupart des acteurs du monde entier sont optimistes, certains regrettent que l’accord n’aille pas assez loin pour protéger les pays les plus vulnérables, déjà impactés par les conséquences du changement climatique.  

 

Des ONG divisées selon une ligne Nord/Sud  

 

Les ONG ont été très nombreuses à réagir à l’accord de Paris. Elles sont pour la plupart optimistes quant à la capacité de ce texte à accélérer la transition vers un monde décarboné. "Pour la première fois dans l’histoire, le monde entier a pris un engagement public pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et gérer les impacts du changement climatique", explique Mohamed Adow, de l’association Christian Aid. "Un message clair est envoyé à l’industrie fossile : après des décennies de déception et de déni, vos efforts pour saper l’action pour climat ne marchent plus", a quant à lui réagit Alden Meyer, le directeur de l’organisation américaine Union of Concerned Scientist.  

De son côté, Sanjay Vashist, du Climate Action Network de l’Asie du Sud, estime que l’accord a "créé un momentum pour des pays comme l’Inde pour intensifier encore leurs objectifs déjà ambitieux en termes d’efficacité énergétique et d'énergies renouvelables". "Paris nous a donné un momentum, mais nous savons qu’il ne s’agit pas là d’une fin", commente Tania Guillen, du Climate Action Network latino-américain. 

Les ONG représentant les pays du Sud sont généralement moins enthousiastes sur le texte. "Nous sommes venus à Paris pour parvenir à des résultats tangibles. À la place nous en ressortons avec des promesses vides et de fausses solutions", a ainsi déclaré Martin Vilela de la Plateforme bolivienne sur les changements climatiques. "Nous avons percuté l’iceberg, le navire est en train de couler mais l’orchestre continue à jouer sous les applaudissements", explique Asad Rehman de l’ONG Les Amis de la Terre International, en référence au drame du Titanic.  

En cause, le mécanisme des pertes et dommages et la question des financements. "Ils ont créé une clause qui exclut l'indemnisation et la responsabilité pour les pertes et dommages provoquées par le chaos climatique. Ceci est un plan délibéré pour rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres", dénonce Lidy Nacpil, du Mouvement populaire de l'Asie sur la dette et le développement.

"La promesse des 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 est maintenant étendue à 2025 et un nouvel objectif doit être fixé par la suite. Les pays développés ont donc encore obtenu une rallonge de cinq ans. C’est regrettable car cela retarde l'action dans les pays en développement qui en ont besoin", a déclaré Meena Raman du Third World Network. "Nous avons besoin de garanties sur l’additionnalité des financements climat par rapport à l’aide publique au développement ainsi que sur la mise en œuvre des sources innovantes de financements comme la taxe sur les transactions financières", ajoute Mouhamadou Farka Maiga d’Amade Pelcode Mali.  

En France, l’ONG Attac, Coordination Sud et le Réseau Action Climat (RAC), qui rassemble plusieurs ONG, dont Greenpeace, le WWF ou Oxfam, ont été particulièrement critiques envers l’accord de Paris qui "ne prend pas réellement en compte les intérêts des plus vulnérables". "L’accord de Paris franchit les lignes rouges fixées par la société civile", dénonce Attac qui considère le texte comme "une somme des égoïsmes nationaux". "Si les gouvernements ne vont pas plus loin que ce qu’ils ont décidé à la COP21, nous nous dirigerons droit dans le mur", estime pour sa part le RAC. "Tous les pays semblent maintenant reconnaître que l’ère des combustibles fossiles doit bientôt toucher à sa fin. L’accord n’a pas sauvé le monde, mais il pourrait bien avoir sauvé notre chance de sauver la planète", explique Bill McKibben, de l’association 350.org qui porte le mouvement pour le désinvestissement des énergies fossiles.  

 

Pour les entreprises engagées, c’est la fin des énergies fossiles  

 

Un mouvement auquel ont adhéré les entreprises et les investisseurs les plus engagés pour le climat, principalement situés dans les pays développés. Pour eux, l’accord de Paris permet enfin d’envoyer le bon signal aux acteurs économiques pour "tourner le dos aux énergies fossiles et embrasser les énergies propres et sûres", commente Michael Jacobs, le conseiller spécial de la New Climate Economy et ancien bras droit du Premier ministre britannique. "Ces engagements doivent maintenant se traduire dans des politiques publiques qui pourront déclencher les investissements nécessaires".  

"L’accord de Paris nous donne l'objectif climatique à long terme que nous voulions, et une feuille de route claire sur la façon d'y arriver. Cela donne aux décideurs, aux entreprises et aux investisseurs la certitude dont ils ont besoin pour aller de l'avant et construire une économie bas-carbone. Ce qui est clair aujourd’hui c’est que le monde a changé : l'économie bas-carbone est désormais inévitable, irrésistible et irréversible", a déclaré Mark Kenber, président de The Climate Group. Pour Nigel Topping, de la coalition We mean business, le texte peut servir de "catalyseur économique historique".  

"L’accord ouvre la voie à une réponse plus adaptée et mieux partagée au plan mondial", a réagit le Medef. Un constat qui n’est pas partagé par l’association patronale européenne Business Europe, qui craint que l’Union européenne ne soit la seule à être si ambitieuse, mettant en péril la compétitivité de ses entreprises. "À moins que les autres régions n’augmentent leur niveau d’ambition dès maintenant au niveau de celui de l’UE, l’accord ne sera pas suffisant pour résoudre le changement climatique".

Si le business engagé est plutôt enthousiaste, le ton est bien différent du côté du lobby du charbon. L’association européenne pour le charbon et la lignite (Euracoal) estime ainsi que le cap donné par la COP21 et l’accord de Paris signifient que le secteur "va être haï et vilipendé comme le furent les négriers en leur temps", rapporte Euractiv. "Le train climatique roule à une telle vitesse que l’industrie des énergies fossiles va passer les prochaines années et décennies sous les projecteurs pour de mauvaises raisons. Ce n’est pas une position tenable et l’industrie ne devrait plus accepter cela", a déclaré son secrétaire général, Brian Ricketts. 

 

Des syndicats qui insistent sur une transition juste 

 

Pour la CFDT, c’est le "premier accord universel de l’histoire des négociations sur le climat », un accord qui reste « modeste d’un point de vue scientifique" mais "immense sur le plan politique", a ajouté Thierry Dedieu, secrétaire confédéral chargé du suivi de la Cop 21. De son côté, la CFE-CGC souligne que "s'il n'est pas une fin en soi, cet accord consacre la prise de conscience collective, politique et citoyenne, et l'urgence de l'action face au réchauffement climatique" et que "la mobilisation des salariés est essentielle pour transformer l'essai."

Mais les efforts financiers notamment sont sous-dimensionnés, juge la Confédération syndicale internationale (CSI). Par ailleurs, la transition juste en faveur des travailleurs n’apparaît pas dans le corps opérationnel du texte. Reléguée dans le préambule, la transition juste risque d’être mal prise en compte dans les mutations professionnelles. Or, selon Marylise Léon, la secrétaire nationale chargée du dossier à la CFDT, "la transition vers un nouveau modèle de développement ne pourra pas se faire sans des emplois durables et de qualité".

 

 

Des experts qui regardent vers demain  

 

Du côté des experts, on s’accorde également sur le fait que le texte permet d’accélérer la transition vers un monde bas-carbone, mettant fin à l’ère des énergies fossiles. "Les entreprises fossiles devront accepter qu’elles doivent de toute urgence réévaluer leurs stratégies", analyse Anthony Hobley, PDG de Carbon Tracker Initiative. La nécessité pour les marchés financiers de financer la transition vers  les énergies propres crée des possibilités de croissance à une échelle sans précédent depuis la révolution industrielle. L’accord de Paris leur envoie un signal sans ambigüité pour débloquer les milliards de dollars nécessaires".  

L’économiste climatique Nicholas Stern, de la London School of Economics, estime que le présent accord, en parallèle avec les objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies, "devrait permettre aux pays de surmonter à la fois le changement climatique et la pauvreté, les deux défis de notre génération". De son côté Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, salue lui aussi l’accord et insiste sur ce qu’il reste désormais à accomplir. "Une politique intérieure forte et cohérente est essentielle pour conduire les changements nécessaires, notamment sur la mise en place d’un prix carbone significatif, l'élimination des subventions aux énergies fossiles, la stimulation de l'investissement dans les technologies vertes et la lutte contre les distorsions politiques qui entravent l'action climatique".  

Pour le juriste Arnaud Gossement, "il est intéressant de voir que le débat sur le caractère contraignant de cet accord a déjà commencé. Cette notion n’est pas la même, selon que l’on se place dans le cadre du droit français ou du droit international. D’un point de vue purement français, la contrainte ne peut s’exercer que s’il y a sanction administrative ou judiciaire. Cette notion devient tout de suite plus floue dans un cadre international. Et c’est plus particulièrement vrai quand on évoque celui mis en place par l’ONU. Pour les pays qui ne respecteraient pas cet accord, pour autant qu’ils le ratifient, la sanction est réputationnelle. La sanction, c’est la transparence. Pourquoi de nombreux pays, y compris des pays pétroliers ou des dictatures ont-ils joué le jeu à l’occasion de cette COP21 ? Parce qu’ils veulent continuer à faire partie du concert des Nations et peser sur la scène internationale".  

 

Des scientifiques inquiets sur la réalisation de l’objectif 1,5°C  

 

L’accord de Paris a introduit une fourchette de réchauffement maximum de la planète de 1,5°C à 2°C d’ici la fin du siècle, mais les scientifiques sont nombreux à s’interroger sur la faisabilité d’un tel objectif, qui suppose des réductions d’émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 70 à 95 % d’ici 2050. Des chiffres qui n’apparaissent pas dans le texte. Le climatologue Jean Jouzel met ainsi en doute la "cohérence" de l’accord car cela signifierait d’arrêter d’émettre des gaz à effet de serre "dans 5 ans ou 10 ans" au rythme actuel. C’est donc "quasi impossible" selon lui.  

Pour l’Américain James Hansen, professeur associé au Département des Sciences de la Terre et de l’Environnement de l’Université Columbia, "l’accord de Paris est une arnaque". "C’est n’importe quoi de dire que nous avons un objectif de limitation des températures à 2°C et ensuite d’essayer d’améliorer cette cible petit à petit tous les 5 ans. Ce sont des mots sans valeur. Il n’y a pas d’actes, juste des promesses. Tant que les énergies fossiles apparaîtront comme moins chères, on continuera de les exploiter".

Concepcion Alvarez
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