Publié le 20 novembre 2023

ENVIRONNEMENT

Avec Javier Milei comme président, l'Argentine bascule dans un inconnu climatosceptique

Inflation délirante et population à 40 % en dessous du seuil de pauvreté justifient-elles de tester l'extrémisme sous toutes ses formes ? Sans doute pour les Argentins qui ont voté à 56 % pour Javier Milei, le Trump de la pampa, avec un taux de participation de 76 %. Ultralibéral et ultramacho, il a gagné à coups de clips et de messages simplistes à l'image de ceux qui ont été les premiers à le féliciter, Trump et Bolsanaro. Va-t-il mettre à exécution toutes ses menaces sur les aides sociales, la banque centrale et l’abolition de l’avortement ? Suspens !  

Argentine president JUAN MABROMATA AFP
Avec 55,7 % des suffrages, le candidat d'extrême droite a gagné l'élection présidentielle.
JUAN MABROMATA / AFP

Javier Milei, le nouveau président argentin, incarne très bien le coup de folie politique qui s'empare des peuples déboussolés par des conditions économiques et sociales qui s'aggravent chaque jour. Économiste tribun, star des plateaux télé, il a fait une campagne d'images fortes et toujours provocantes dans un style très machiste qui a séduit une partie de la jeunesse fascinée par ce superhéros capable de vouloir couper toutes les aides sociales avec sa tronçonneuse, brandie dans chaque meeting. 

Comme Trump qui voulait rendre à nouveau l'Amérique grande, il a des ennemis symboliques : la Banque centrale qui remonte ses taux avec la montée de l'inflation qui dépasse les 140%, les aides sociales, les droits des femmes et la lutte contre le changement climatique qui n'est pas, selon lui, d'origine humaine et industrielle. Bref c’est un vrai président pour jeu vidéo dont il singe tous les codes dans ses clips de campagne, à l’image de celui où il détruit une maquette de la banque centrale argentine à coups de masse. 

L'Argentine entre dans l'inconnu. Sa situation économique est désastreuse et empire d'année en année mais comment Javier Milei pourra-t-il tenir sa promesse de retour à un âge d'or dont il n'a pas donné le mode d'emploi ? Quarante ans quasiment jour pour jour après la fin de la dictature et plus de vingt ans après une crise de la dette gravissime, l’Argentine reste liée au FMI depuis 2018 par un prêt de 44 milliards de dollars. Elle est désormais dans les mains d’un anarcho-capitaliste revendiqué. Comment va-t-il faire dans la réalité ? Le mystère reste entier.

Quatre limites planétaires franchies

Il prend ses fonctions dans trois semaines et n’a ni majorité au Congrès ni d’élus locaux appartenant à sa coalition libertarienne ce qui pourrait freiner ses velléités de "dollariser" l’économie ou abroger le droit à l’avortement. La paralysie des institutions guette et pourrait encore aggraver la situation argentine d’autant plus que le nouveau président peut toujours diminuer drastiquement les aides sociales par décret puisqu’il estime que c’est l’État providence qui ruine le pays. Sur le plan des relations internationales, il ne veut pas parler aux "rouges" donc à la Chine et au Brésil qui sont pourtant les deux premiers partenaires commerciaux de l’Argentine. Concernant le Brésil, il avait même approuvé la tentative de coup d’État de janvier 2023.  

Sur le plan environnemental, l’Argentine est dans le rouge sur au moins quatre limites planétaires, les émissions de CO2, le changement d’affectation des sols et l’empreinte écologique selon le modèle de la Donut Economy. Elle est le troisième exportateur et producteur mondial de soja mais ce sont les mines et l’industrie qui constituent près de 25 % de son PIB. Ses réserves de pétrole et de gaz de schiste sont colossales. Elle détient les deuxièmes réserves de gaz mondiales (23 000 milliards de mètres cubes) après la Chine et les quatrièmes réserves de pétrole (27 milliards de barils) après la Russie, les États-Unis et la Chine.

La lutte contre le changement climatique devient inaudible. 

La nécessaire sortie des énergies fossiles qui faisait consensus à la signature de l’Accord de Paris en 2015 ne devrait donc pas faire partie du programme de Javier Milei qui doit son plébiscite surprise au poids des réseaux dans les campagnes actuelles des pays démocratiques. Sergio Massa, son adversaire ancien ministre de l’économie d’un gouvernement qui a échoué à rétablir la situation avait bien essayé de miser sur les jeunes en mettant en valeur ses propres enfants comme dans ce tweet.

La mobilisation des fans de Taylor Swift, les "swifties" n’a pas fait le poids non plus. Comme leur idole appelle à se battre contre Trump, ils ont engagé un mouvement anti-Milei sur les réseaux sociaux. Taylor Swift a donné trois concerts peu avant le second tour en Argentine pour lequel 2,8 millions avaient tenté d’obtenir un billet, soit 10 % du corps électoral. C’est énorme mais ils ne sont visiblement pas tous alignés sur les positions de la chanteuse qui avait appelé à voter pour "chasser Trump du pouvoir" au nom de ses prises de position racistes et des violations faites aux droits des femmes.

Si la victoire de Milei est suivie d’un retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis en 2024 ce qu’annoncent les sondages, le scénario catastrophe pour l’engagement d’une transition écologique mondiale prendrait corps. Cela tendrait à prouver que la démocratie est définitivement menacée quand les campagnes politiques se déroulent sur les réseaux sociaux à coups de vérités alternatives, d’ennemis désignés comme boucs émissaires et de promesses délirantes. Dans ce contexte le rationnel de la lutte contre le changement climatique devient inaudible. 

Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic


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