Publié le 06 septembre 2023

ENVIRONNEMENT

Moustique tigre, frelon asiatique… : Le coût lié aux espèces invasives est bien plus élevé que celui des catastrophes naturelles

Les espèces exotiques envahissantes ne sont pas seulement néfastes pour la biodiversité. Elles engendrent également des coûts colossaux, bien plus élevés par exemple que ceux liés aux catastrophes naturelles. Et pourtant, elles font bien moins parler d'elles. La France n'est pas épargnée.

Moustique tigre James Gathany USCDCP Pixnio 01
Le moustique-tigre est l’une des espèces les plus invasives au monde. En France métropolitaine en 2023, il est implanté dans 71 départements.
@James Gathany USCDCP / Pixnio

La jacinthe d'eau, le rat noir, le faux mimosa, le moustique-tigre ou encore le frelon asiatique, ces espèces exotiques envahissantes ont un rôle majeur dans 60% des extinctions de plantes et d'animaux sur la planète, révèle un nouveau rapport de l’IPBES, le Giec de la biodiversité, publié lundi 4 septembre. Et leur impact économique est loin d’être négligeable, avec un coût annuel qui dépasse les 423 milliards de dollars. C’est bien plus que les catastrophes naturelles, qui ont coûté 275 milliards de dollars en 2022. 

"Ce montant quadruple tous les dix ans depuis 1970, et les chiffres sont probablement grandement sous-estimés", soulignent les experts de l’ONU. "Ce serait une erreur extrêmement coûteuse que de considérer les invasions biologiques uniquement comme le problème de quelqu’un d’autre", prévient également le professeur Anibal Pauchard, co-président de l’évaluation, cité dans un communiqué de presse. L’IPBES dénombre plus de 3 500 espèces exotiques, dont 10% environ sont des espèces exotiques envahissantes, menaçant la nature mais aussi la qualité de vie des populations.

548 espèces exotiques envahissantes en France

La plus répandue est la jacinthe d’eau, présente dans 74 régions du monde. Dans le lac Victoria, au Kenya, elle a eu pour conséquence de faire baisser la population de poissons, affectant les moyens de subsistance des populations locales. Mais ce sont surtout les continents américain et européen qui sont les plus touchés. Ils comptent à eux deux les deux tiers des impacts négatifs. Dans le Vieux-Continent, en raison de sa large façade maritime, de ses nombreuses frontières et de ses climats variés, la France est l’un des pays les plus touchés.

En 2020, l’Hexagone comptait au moins 548 espèces exotiques envahissantes (EEE), dont 70% dans les Outre-mer, selon l’Inventaire national du patrimoine naturel. Le coût de leurs impacts et de leur gestion est estimé à 395 millions d’euros par an entre 1993 et 2018. Parmi ces espèces invasives, il y a par exemple la jussie, originaire d’Amérique. Cette plante a longtemps servi à décorer les bassins des jardins. Elle a notamment envahi les étangs des Landes, de la Brenne et le marais poitevin. Dans ce dernier, le contrôle de la plante aquatique a été estimé à 4 millions d’euros sur 20 ans et les dommages totaux occasionnés s’élèveraient à 82 millions d’euros. Aujourd’hui, elle sort de l’eau pour coloniser les prairies humides, causant de gros problèmes aux éleveurs de bétail.

Il y a aussi la crépidule, originaire des États-Unis et arrivée en Angleterre collée aux bateaux. Cet escargot des mers a envahi les côtes françaises lors du débarquement pendant la seconde guerre mondiale. Il a fait reculer des espèces très prisées, comme la coquille Saint-Jacques. La Xylella fastidiosa, une bactérie arrivée sur le dos d’un insecte venu des États-Unis jusque dans le sud de l’Italie, a quant à elle infecté près de 200 000 hectares d’oliviers, de lauriers roses et d’amandiers. Elle est aujourd’hui présente en Corse et en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, affectant tout un pan de l'économie locale.

410 millions d'euros pour le moustique-tigre

Plus connu – surtout en ce moment – le moustique-tigre est l’une des espèces les plus invasives au monde grâce à son adaptabilité aux régions ayant des hivers froids. En France métropolitaine en 2023, il est implanté dans 71 départements. Pouvant transmettre à l’être humain des virus comme celui de la dengue, du chikungunya ou du Zika, il fait l’objet d’une surveillance par les autorités. Son coût est estimé à 410 millions d’euros sur la période 1993-2018. Cette année par exemple, plusieurs opérations de démoustication ont dû être organisées notamment en région parisienne. Fin août, après la détection d’un cas de dengue dans le 13e arrondissement, les habitants ont été confinés toute une nuit pendant la durée de la pulvérisation de l'insecticide.

Autre espèce redoutée, le frelon asiatique. En provenance de Chine, il a envahi la France depuis 2003 et constitue une menace pour les abeilles domestiques et autres insectes pollinisateurs déjà particulièrement affectés par les insecticides. Le coût de la lutte contre cette invasion en France est chiffré ici à plusieurs millions d’euros tous les ans, et s’accroit avec le temps. Une étude du CNRS de 2020 établissait le coût de lutte contre le frelon asiatique à 23 millions d'euros entre 2006 et 2015. Un coût toutefois très inférieur à celui des dégâts du frelon pour l’agriculture et les services de pollinisation, précisent les chercheurs.

La France s’est dotée d’une stratégie nationale dédiée aux espèces exotiques envahissantes en 2017 mais sans aucun objectif chiffré. À ce jour, 94 espèces invasives y sont réglementées et interdites à la vente, à l’achat ou au transport. Au niveau international, seuls 17% des pays ont adopté des stratégies nationales pour s’attaquer frontalement au problème et près de la moitié (45%) ne font rien, indique l’IPBES. Or, l’accord de Kunming-Montréal de décembre 2022 vise à réduire de 50% le taux d’introduction des espèces exotiques envahissantes d’ici 2030. Une nécessité pour préserver la biodiversité, mais aussi un enjeu économique.

Concepcion Alvarez


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