Publié le 26 janvier 2016
ENVIRONNEMENT
Loi sur la biodiversité : avancées et reculs après l'adoption par le Sénat
La loi sur la biodiversité vient d’être adoptée en première lecture au Sénat. Pas moins de 674 amendements ont été débattus pendant cet examen. Parmi les principaux points adoptés, de nouveaux recours juridiques possibles face à la destruction de l'environnement. Mais la pêche en eaux profondes n’a pas été interdite, pas plus que l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes, qui déciment les essaims d’abeilles. Le texte sera de nouveau discuté dans les prochains mois à l’Assemblée nationale, avant une adoption définitive promise cet été.

GODONG-BSIP-AFP
Et de deux. Après l’Assemblée nationale l’an dernier, le Sénat vient d’adopter en première lecture la loi sur la biodiversité. Une loi présentée comme l’une des priorités environnementales du gouvernement. Et une loi particulièrement touffue. Alors quelles sont les avancées et reculs réels de ce texte, après ce nouvel examen ?
Des avancées juridiques trop floues
D’abord, l’inscription de nouveaux recours juridiques face à la destruction de l'environnement. L’article 2 bis propose ainsi d'inscrire dans le code civil le dommage causé à l’environnement. Une notion qui s'approche du concept de préjudice écologique, dont le principe fait débat depuis des années.
"Ce serait, potentiellement, une révolution juridique", souligne Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement. Car le préjudice écologique "pur" permet de réclamer des réparations, même s'il n'y a aucun préjudice causé à une personne morale ou physique. La révolution reste pourtant théorique car le texte actuel est trop imprécis pour être applicable en l'état, explique le juriste, rappelant qu'une définition noir sur blanc du préjudice écologique était écrite dans le projet de loi relatif à la responsabilité civile environnementale, abandonné en 2015.
Autre avancée, toujours juridique, celle de l’inscription de l'action de groupe. Cette mesure reprend celle adoptée dans la loi de défense des consommateurs. Nous sommes cependant encore loin de la class action à l'américaine, car l'action de groupe française ne peut être menée que par des associations. Elle leur permet néanmoins d'étendre leurs actions pour défendre toute personne ayant subi un préjudice lié à la dégradation de l'environnement. Mais là encore, l’imprécision de cette partie du texte, adopté qui plus est contre l'avis du gouvernement, laisse craindre que la mesure ne sera pas maintenue en l'état, lors de la seconde lecture.
La protection du paysage préservée
Autre sujet : celui des sites inscrits. On en compte aujourd’hui 5 000, parmi lesquels certains sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce type de protection des sites (paysages, construits ou mixtes) qui représentent 2,5 % du territoire français avait pourtant été supprimé dans le projet de loi du gouvernement. Or certains experts craignent que leur disparition n’ouvre la voie à une augmentation de l’étalement urbain, la réduction des terres agricoles et la construction d’entrepôts et autres grandes surfaces. L’Assemblée avait juste demandé à ce qu’il soit conservé le long du littoral. Le Sénat a complètement réhabilité le dispositif. A la satisfaction des associations. Selon FNE en effet, il s’agit d’un "outil léger et facile à mettre en œuvre dans les situations d’urgence".
La possibilité pour un propriétaire foncier de faire naître sur ses parcelles des obligations réelles à but environnemental est également maintenue. Il s’agit de contrats conclus entre les propriétaires de ces terrains et une collectivité publique ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement. Un outil utile et peu coûteux mais qui manquait de mesure incitative dans la première version du projet de loi. Le Sénat a donc sécurisé le dispositif en mentionnant des "contreparties" à ces obligations. Les obligations cessent lorsque la contrepartie cesse.
Un amendement renforce également l’accessibilité aux données naturalistes : les aménageurs devront verser les données des études d'impact environnemental de leurs projets à l'inventaire national du patrimoine naturel géré par le Muséum d'histoire naturelle.
Ratification de Nagoya en plein scandale sur la biopiraterie
Les sénateurs ont par ailleurs confirmé la ratification du protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. La France va devoir mettre en place un dispositif d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées sur son territoire.
La portée de cette mesure est illustrée par un scandale qui secoue aujourd'hui la recherche française : l'Institut de recherche pour le développement (IRD) vient en effet d'être accusé de biopiraterie en Guyane par la fondation France Liberté. La fondation demande une révocation d'un brevet en lien avec une plante guyanaise déposé par l'IRD, qui n'a pas reconnu l’apport des populations guyanaises ayant participé au projet de recherche. L’IRD conteste de son côté avec force cette accusation, estimant que le plante en question est utilisée dans de nombreux pays d’Amérique latine.
Par ailleurs, alerté par le collectif Semons la biodiversité, et avec l'avis favorable de la ministre de l'Écologie Ségolène Royal, le Sénat a également interdit le brevetage des plantes et des animaux obtenus par des méthodes de sélection classiques.
Les lobbys pèsent de tout leur poids sur les interdictions de pêche en eaux profondes et des néonicotinoïdes
Reculades en revanche sur la protection des poissons et des abeilles. Les pressions des chasseurs, des pêcheurs et des agriculteurs ont conduit au rejet de plusieurs amendements. Exit une réglementation plus stricte de la chasse et l'interdiction de la pêche en eaux profondes, pourtant défendue par le gouvernement et le rapporteur Jérôme Bignon (groupe Les Républicains). Las, ce dernier a déclaré en séance : "L’avis des pécheurs diffère peut-être, mais l’ensemble de la société peut souhaiter que le fond des océans ne soit pas massacré".
Quant aux agriculteurs, "ils ont leur opinion, mais les gens qui aiment les abeilles et qui tiennent à la pollinisation peuvent penser qu’il n’est pas absurde de tenter de sauver des animaux qui sont pollinisateurs depuis toujours et qui ont fait la nature telle qu’elle est !" De fait, l'interdiction des néonicotinoïdes, ces insecticides qui déciment les essaims, déjà rejetée en commission après avoir été adoptée par les députés, a aussi été rejetée par la chambre haute. Elle avait pourtant été portée par plusieurs amendements. Mais le Sénat s'est contenté de demander un arrêté ministériel pour encadrer l'utilisation de ces insecticides, conformément à l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Dépitées, des associations apicoles, paysannes et environnementales ont rappelé, dans un communiqué commun, que l'interdiction de ces pesticides neurotoxiques avait reçu "un soutien exceptionnel" dans le cadre de la consultation sur la plateforme Parlement et citoyens (avec 99,6 % de votes favorables).
Toujours sur la question des pesticides, les sénateurs ont ajouté un rôle d'information et de conseil sur leur utilisation à l'Agence française pour la biodiversité (AFB), créée par cette loi. Une mesure indolore, alors que le plan Ecophyto mise déjà sur la pédagogie pour réduire l'utilisation de ces produits chimiques.
Silence sur les OGM
Par ailleurs, les différents amendements demandant que les plantes obtenues par les nouvelles techniques de modification génétique soient soumises à la réglementation OGM ont été rejetés. Pourtant, selon l'avis de nombreux scientifiques, ces produits présentent les mêmes problèmes que les OGM. Un article du texte proposait par exemple de suspendre la culture et la commercialisation de semences de colza et de tournesol tolérants aux herbicides issus de mutagenèse. Ces cultures présentent le même risque de diffusion dans l'environnement des gènes de résistance que les OGM.
Enfin, une nouvelle mesure fiscale a été introduite par le Sénat. Elle concerne l’huile de palme, connue pour ses effets sur la déforestation. Une taxe additionnelle pourrait donc être créée. Elle devrait augmenter chaque année jusqu’à 900 € par tonne en 2020, ses recettes devant être affectées à l’assurance-maladie, compte-tenu des conséquences sanitaires néfastes de cette huile.