Publié le 08 juin 2023

ENVIRONNEMENT

Guerre en Ukraine : Après la destruction d'un barrage, le risque d'une "catastrophe écologique" d'ampleur voire d'un "écocide"

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé le monde à réagir, accusant la Russie d’un "écocide brutal" après la destruction du barrage de Kakhovka, près de Kherson, ce mardi 6 juin. Une nouvelle catastrophe qui laisse craindre de graves répercussions sur la faune et la flore locales.

Barrage de Karkhova STRINGER / AFP
Le réservoir de Kakhovka, qui se déverse dans le fleuve Dniepr depuis la destruction du barrage, contient 18 milliards de tonnes d’eau.
STRINGER / AFP

Les responsables politiques ukrainiens ne mâchent pas leurs mots. "La Russie est en guerre contre la vie, contre la nature, contre la civilisation", a réagi Volodymyr Zelensky, après la destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka dans le sud de l’Ukraine, survenue ce mardi 6 juin. Pour le chef de l’État ukrainien, "il s’agit de la plus grande catastrophe environnementale causée par l’Homme en Europe depuis des décennies". Ajoutant que "la Russie est coupable d’un écocide brutal", à savoir de crimes contre l’environnement.

La destruction du barrage de Karkhova a entraîné mardi 6 juin l’inondation de plusieurs dizaines de localités, situées en aval de l’infrastructure. Dans la journée de mardi, les autorités ukrainiennes ont annoncé que près 17 000 personnes ont pu être évacuées, alors que 40 000 civils sont toujours menacés, dont 25 000 se trouvent sur le territoire placé sous contrôle russe.

Les écosystèmes en danger

Au drame humain s’ajoute également une catastrophe environnementale dont les observateurs peinent à mesurer l’étendue et ses conséquences. Lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité mardi après-midi, le secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires humanitaires, Martin Griffiths, a décrit un évènement dont "l’ampleur ne pourra pas être pleinement évaluée que dans les prochains jours".

Un constat partagé par Ecoaction. La plus importante ONG environnementale ukrainienne a ainsi indiqué dans son rapport préliminaire que la première conséquence est liée au déversement des 18 milliards de tonnes d’eau que retenait le barrage dans le Dniepr, l'un des quatre plus longs fleuves d'Europe. Ce dernier devrait subir "de graves perturbations de ses écosystèmes, et ce, jusqu’aux zones côtières de la mer Noire".

Selon Ecoaction, une "mortalité massive potentielle d’organismes aquatiques (poissons, mollusques, crustacés, micro-organismes, végétations aquatiques)", mais aussi de rongeurs, dont certains sont endémiques, est à craindre. Et cette surmortalité pourrait "entraîner une détérioration de la qualité de l’eau due à la décomposition des organismes morts". Autre victime : la végétation, plus particulièrement celle en amont du barrage en raison du drainage, "tandis que les zones situées en aval seront inondées, y compris les complexes steppiques et forestiers qui ne sont pas adaptés à la submersion, ce qui entraînera leur engorgement et leur destruction", précise Ecoaction. 

Risque de pollution massive

L’ONG ukrainienne craint également une importante pollution des eaux, en raison notamment "du déversement des ordures, des produits agrochimiques et autres matières dangereuses". À cela s'ajoute "l’inondation et la désactivation des systèmes de traitement des eaux usées et des systèmes d’égouts".

L'autre menace à prévoir est la fuite "d’au moins 150 tonnes d’huile de moteur dans le fleuve Dniepr". Un chiffre réévalué à la hausse par les autorités ukrainiennes, qui évoquent "un risque de 300 tonnes supplémentaires". Dans une vidéo postée sur Twitter, et repérée par Libération, le député ukrainien Oleksiy Goncharenko explique face caméra que "l’air sent l’huile" et que "nous ressentirons les conséquences de cette catastrophe pendant des décennies".

L’Ukraine entend faire reconnaître l’ "écocide" commis par la Russie

"Nous assistons à un écocide à l’échelle régionale, et non pas seulement ukrainienne", a asséné le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, au regard des dégâts déjà visibles sur la faune et la flore du sud du pays. Et ce n’est pas la première fois que l’Ukraine emploie le terme d’ "écocide" pour caractériser les dégâts environnementaux colossaux, causés par l'invasion russe. En juillet 2022, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) avertissait déjà que "le suivi préliminaire du conflit fait apparaître des conséquences importantes sur les environnements urbains et ruraux qui pourraient laisser au pays et à la région un héritage toxiques pour les générations à venir".

C’est pour cette raison que le ministère ukrainien de la protection de l’environnement et des ressources naturelles a entrepris de recenser tous les dégâts environnementaux, imputables à la Russie. D’après la plateforme mise en ligne par le ministère de l'environnement, EcoZagroza, 2 417 actions militaires ayant eu un impact sur l’environnement ont déjà été recensées. Ce conflit et son bilan écologique pourraient ainsi ouvrir la voie à la reconnaissance internationale du crime d’écocide, et ce au même titre que celui de crime de guerre.

Blandine Garot


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