Publié le 21 janvier 2014
ENVIRONNEMENT
Manifestation en Allemagne contre l'industrialisation agricole
Près de 30 000 personnes ont battu le pavé à Berlin le 18 janvier contre l'industrialisation de l'agriculture et l'accord de libre-échange actuellement en négociation entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Mais au-delà des revendications, les organisateurs entendent donner une voix et un visage à un mouvement social qui prend de l'ampleur en Allemagne, un mouvement qui appelle à une « Agrarwende », un tournant agricole.

© C.S
Ils sont venus de toute l'Allemagne, mais aussi de France, de Grèce, de Bulgarie ou encore du Royaume-Uni, braver le froid hivernal de Berlin pour exprimer leur «ras-le-bol» («Wir haben es satt») de l'industrialisation de l'Agriculture. Armés de cuillères en bois et de casseroles, relayés par une sono généreuse en décibels et menés par 70 tracteurs, les manifestants ont défilé sous les fenêtres du ministère de l'Agriculture, devant l'office représentant la Commission européenne à Berlin, pour in fine accrocher sur un fil posé au pied de la chancellerie leurs réquisitoires qu'ils étaient invités à rédiger sur de petits papiers roses.
Scandales alimentaires, OGM, monoculture, conditions de travail scandaleuses dans les abattoirs, mainmise de la finance sur les terres agricoles d'ex-RDA, dépendance grandissante des agriculteurs envers les semenciers, la liste des réquisitoires s'étire. De fait, elle reflète l'ampleur du mouvement qui prend lentement pied en Allemagne : 250 initiatives citoyennes ont pu ces dernières quatre années bloquer la construction d'abattoirs géants et de larges complexes agricoles, rappelle au micro Eckehard Niemann, agriculteur et représentant du réseau «Des fermes au lieu des usines agricoles». Des initiatives aussi nombreuses que discrètes mais à l'influence toujours grandissante. « Les représentants de ces initiatives se trouvent être ensuite élus dans les conseils municipaux ou régionaux », ajoute Eckehard Niemann.
Division du monde agricole
Face à cette montée en puissance politique et sociale, on ne s'étonne guère que le nouveau ministre de l'Agriculture, Hans-Peter Friedrich (CSU, la branche bavaroise des conservateurs) évite toute fin de non-recevoir. « Tous les arguments avancés (par les manifestants) jouent un rôle important dans nos discussions et sont valables », fait-il savoir quelques heures après la manifestation. Sachant combien le sujet est sensible, le ministre joue de la diplomatie en ajoutant que « chacun veut parvenir à une production agricole durable et de haute qualité. Cependant, les chemins pour y parvenir sont variés ». Or, l'exercice rhétorique ne fait que cacher un fossé qui s'élargit entre partisans de la politique agricole conventionnelle et tenants d'une refonte du paysage agricole.
Ainsi, face aux nombreuses critiques, le président de l'Association des agriculteurs allemands, Joachim Rukwied, se montre plus qu'excédé. Dans une interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, il se plaint « des idéologues qui cherchent de manière constante à verser, au sens figuré, du lisier sur des familles d'agriculteurs honnêtes, à la seule fin de propager de fausses informations et de la peur ». La réponse des opposants ne s'est pas faite attendre : « Visiblement, notre cher président des agriculteurs, pardon, président de l'agriculture industrielle a les nerfs à vif », relève avec malice Christoph Bautz, un des coordinateurs de la manifestation.
Rapprocher à nouveau consommateurs et agriculteurs
« Les agriculteurs sont passés d'un statut de producteur à celui de transformateur. Ils dépendent des centrales d'achat et des banques, et ont de ce fait perdu leurs pouvoirs de décision », déplore Denis Baulier, agriculteur breton, dans le bio depuis 1982. Il est l'initiateur de la « Manufacture de l'écologie réaliste », une organisation qui recense les différentes expériences bio et durables en France pour permettre par la suite les échanges d'expériences. Venu spécialement à Berlin à l'occasion de la manifestation, l'agriculteur français se joint aux revendications de ses collègues allemands qui plaident pour un rapprochement entre consommateurs et agriculteurs. « Les consommateurs et les agriculteurs doivent se rapprocher de nouveau. Avec l'industrialisation de l'agriculture, les liens se sont distendus, la production est devenue anonyme et routinière », relève Bernd Schmitz, producteur de lait dans la région de Bonn qui observe que « la politique agricole, c'est aussi de la politique sociale, un maillon essentiel pour réussir le tournant agricole ».