Publié le 10 juillet 2022
ENVIRONNEMENT
Le Sri Lanka est-il en faillite à cause de son passage à une agriculture 100 % bio ?
Le Sri Lanka est plongé dans une crise économique et politique sans précédent. Faute de devises, l'île ne peut plus importer de produits de première nécessité, intensifiant le risque de famine. Si la décision brutale du Président d'interdire, du jour au lendemain, l'importation d'engrais et produits chimiques agricoles pour passer à une agriculture bio a participé à cette catastrophe, les racines de cette crise sont bien plus profondes. Ce régime "quasi mafieux" fondé sur un "capitalisme de connivence" a dirigé le pays au bord du gouffre.

AFP
C’est une des pires crises que le Sri Lanka ait connu depuis son indépendance en 1948. "Notre économie fait face à un effondrement complet", déclarait il y a peu le Premier ministre Ranil Wickremesinghe. Pénurie de nourriture, de médicament, de carburant, coupure d’électricité… l’État, à court de devises, peine à importer les produits essentiels. Face à cette situation qui perdure, la colère gronde. Le 9 juillet, après plusieurs jours de manifestations, le palais présidentiel a été pris d'assaut poussant le chef de l'État à la démission.
Mais comment le Sri Lanka, auparavant pays à revenu intermédiaire, se retrouve aujourd’hui en faillite ? Certains médias et personnalités affirment que la raison principale est la décision brutale en avril 2021 du Président sri lankais de faire de son pays le premier au monde à pratiquer une agriculture exclusivement biologique. Le Daily Caller, média américain fondé par un ancien de Fox News titre même : "Voici comment l'ESG a détruit une nation". L'ESG faisant référence à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Il est vrai que du jour au lendemain Gotabaya Rajapaksa a interdit l’importation de produits chimiques. Riz, blé, thé… les producteurs ont écoulé leurs stocks et dû se passer des engrais. Cette transition, qui devait initialement se réaliser en 10 ans suivant la politique environnementale et sanitaire du gouvernement, est devenue un cauchemar pour les agriculteurs dont les récoltes se sont, sans surprise, amenuisées.
Des sparadraps sans effet
Si le Président Gotabaya Rajapaksa s’est précipité c’est que le pays était déjà plongé dans une crise économique. À court de billets verts, le président a préféré couper les importations d’engrais, représentant 400 millions de dollars par an plongeant encore plus le pays dans l’instabilité. Face à cette catastrophe, les producteurs ont obtenu un retour en arrière du Président en novembre 2021. Mais sans liquidité, impossible d'importer les produits nécessaires.
Symbole de cette situation, en juin, le gouvernement a donné aux fonctionnaires un jour de congés supplémentaires, le vendredi, pour qu’ils puissent cultiver des denrées alimentaires dans leur jardin. En plus de ce "coup de pouce" agricole, le Président y a vu un autre bénéfice : une réduction de la consommation de carburant entre le domicile et le lieu d’activité professionnelle. Ses sparadraps n’ont bien sûr pas sorti le pays de la crise car si cette dernière s’est accélérée depuis avril dernier, ses racines sont bien plus profondes.
Un "régime quasi mafieux"
Dans une note, Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégies (Iris), décrit un régime "quasi mafieux" qui s’est accaparé le pouvoir depuis la fin de la guerre civile en 2009. "Le système clanique qui s’est mis en place s’est par exemple traduit par des pertes importantes de recettes budgétaires liées aux cadeaux fiscaux aux amis du pouvoir et l’enracinement d’un capitalisme de connivence (crony capitalism) au sein du pouvoir", écrit-il.
Derrière ce régime populiste se cache également une "fragilité structurelle du modèle de développement", note Jean-Joseph Boillot. À savoir qu’une grande partie de l’économie sri-lankaise a reposé pendant longtemps sur le tourisme industriel "au détriment de son monde paysan et de son autonomie alimentaire". Le Covid-19 a été la cerise sur le gâteau. Il a "vidé l’île de ses touristes pendant deux ans", note le chercheur. Reste à savoir comment le pays sortira de cette crise alors que le Président et le Premier ministre devraient quitter leur fonction la semaine prochaine.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina