Publié le 18 octobre 2018
Des insectes porteurs de virus conçus par l’homme pour aller modifier génétiquement, en un temps record, des champs céréaliers menacés par une maladie, une sécheresse ou une attaque. Telle est la solution actuellement développée par la défense américaine. Mais des chercheurs craignent que ce programme ne cache en réalité la création d’une arme biologique.

Le DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency, est l’agence américaine du département de la Défense américaine en charge des programmes de recherche et développement pour l’armement. Quelle surprise de les voir mener un programme de 45 millions de dollars dans le domaine de l’agriculture ! Baptisé "Insect Allies", il a été lancé en 2016 pour une durée de quatre ans.

Grâce à l’édition du génome de plantes, l’agence veut protéger les cultures agricoles de phénomènes extrêmes et soudains tel que des maladies, des sécheresses, des parasites ou des attaques. Mais la modification génétique classique, qui passe de génération en génération, est trop lente. Leur solution consiste en une armée d’insectes transporteurs de virus génétiquement modifiés. Ceux-ci vont pouvoir modifier les céréales directement au cours de leur vie.
Question de sécurité alimentaire
Le Docteur Blake Bextine, responsable des programmes biologiques au Darpa, explique : "La sécurité nationale peut être rapidement compromise par des menaces naturelles sur les cultures, notamment des agents pathogènes, la sécheresse, les inondations et le gel, mais surtout par des menaces introduites par des acteurs étatiques ou non étatiques. Insect Allies cherche à atténuer l’impact de ces dangers en appliquant des thérapies ciblées sur des plantes matures avec des échelles de temps inédites".
L’argument ne convainc pas tout le monde. Cinq scientifiques issus du Max Planck Institute, de l’université de droit de Friboug et de l’Université de Montpellier soupçonnent, sous couvert de recherches agricoles, que le DARPA veuille déployer une arme biologique. "Les conséquences réglementaires, biologiques, économiques et sociétales de la dispersion de tels agents de modification génétique dans les écosystèmes sont profondes", écrivent-ils dans la revue Science du 5 octobre.
Violation de la convention sur les armes biologiques
"Selon nous, les connaissances à tirer de ce programme semblent très limitées dans sa capacité à améliorer l’agriculture américaine ou à faire face aux urgences nationales (à court ou à long terme) (…) Ce programme peut être perçu comme un effort de développement d’agents biologiques à des fins hostiles. Si cela est vrai, ce serait une violation de la Convention sur les armes biologiques", préviennent-ils.
Cette convention de 1972 est aujourd’hui signée par 182 pays dont les États-Unis. Le Darpa a répondu officiellement à cette accusation. Il argue que ces recherches sont transparentes et associent les agences de régulation américaine. Il ajoute : "Si le DARPA peut fournir des technologies qui permettent aux États-Unis de résister aux menaces, nous préservons la stabilité domestique et diminuons les sources d’instabilité à l’étranger".
Contrôler la technologie
L’utilisation d’insectes comme vecteurs d’agents pour lutter contre un danger n’est pas une première. En 2017, afin de lutter contre le virus Zika, la filiale de Google, Verily a relâché 20 millions de moustiques mâles stérilisés et infectés par la bactérie Wolbachia. En s’accouplant avec des femelles, ils les ont contaminées empêchant ainsi les œufs d’éclore.
Mais ce genre de solution interpelle Guy Reeves, chercheur en biologie au Max Planck Institute et co-auteur de l’article de Science. Cité par le New York Times, il explique : "Une fois que vous avez conçu un virus qui se répand via des insectes, il est difficile d’imaginer comment vous allez le contrôler. Vous n’avez pas juste relâché un virus mais une maladie". Blake Bextine assure pour sa part que le programme Insect Allies inclut des "interrupteurs" capables neutraliser cette technologie.
Ludovic Dupin, @LudovicDupin

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