Publié le 03 mars 2017
ENVIRONNEMENT
Au salon de l’agriculture, un bio à géométrie variable
+20% en un an. Le bio, avec une progression à faire pâlir l'agriculture conventionnelle, attire de plus en plus. Au salon de l'agriculture, tous s'emparent de ce totem. De Lidl au petit producteur en passant par McDonald's, les produits biologiques sont mis en avant. Entre opportunisme et conviction, des conceptions antagonistes s’affrontent. Reportage dans les allées de la porte de Versailles.

@Fine_SIA2017 (Twitter)
Son portrait s'affiche dans les couloirs du métro. Elle dispose de son propre compte Twitter. Fine, une vache de race bretonne "Pie-noir", est l'égérie 2017 du salon de l'agriculture. Elle qui broute habituellement avec ses 40 congénères de la Ferme des 7 chemins verra défiler 600 000 visiteurs jusqu'au 5 mars.
Le choix de la nouvelle mascotte de la 54ème édition du salon de l'agriculture n'est pas anodin. Il met en lumière les producteurs locaux travaillant en circuit-court. C'est "un guide pour l'agroécologie", estime le propriétaire de Fine, Cédric Briand.
Avec ses deux associés, il a misé sur le bio. Les vaches de la Ferme des 7 chemins sont nourries exclusivement d'herbe et de foin. Cette race rustique, l’une des plus vieilles de France, a frôlé l'extinction. Elle est aujourd'hui reconnue pour son lait très riche et "fromageable". "C'est une race mixte qui permet de transformer son lait et sa viande pour en faire des produits fins, de qualité et très typiques, directement liés au terroir breton", souligne avec fierté son propriétaire.
Lidl et MacDonald, hérauts du bio ?
Du terroir, de la qualité, du responsable. C’est le triptyque de ce salon 2017 de l'agriculture. Dans le hall le plus visité, celui qui accueille les animaux, Lidl s'est offert une vaste surface. Un panneau "Made In France" surplombe son périmètre.
Même chose du côté de McDonald's, qui rappelle qu'un peu plus de la moitié de sa viande bovine est d'origine française. Les deux marques proposent désormais des produits bios, gage à leurs yeux de leur responsabilité environnementale.
Selon l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, l'année 2016 a été "historique" : +20% en un an. Le bio pèse désormais 7 milliards d'euros.
Petits producteurs relégués
Mais Porte de Versailles, les petits producteurs bio sont pourtant peu nombreux. "Les stands coûtent trop cher", explique Narcisse Perez, producteur de truffes.
Nombre d’entre eux ont été aidés par la chambre de l'agriculture de leur département. C'est le cas d'Antoine Mallemouche, co-gérant de la brasserie la Lutine, bière artisanale. Pour lui, comme pour les autres, le salon de l'agriculture est l'occasion de s'ouvrir à une autre clientèle, moins sensibilisée.
Mais les grandes surfaces leur volent la vedette : "On se demande ce qu'elles font là. Leclerc, par exemple, nous a appelé pour commercialiser nos produits et approvisionner un rayon 'local' qu'il vient de créer. Mais ce n'est pas l'image qu'on veut donner. Ce ne sont pas les valeurs que l'on porte. On veut des commerces et une production à taille humaine. Si on accepte, il faut pouvoir suivre. Il faudrait qu'on achète de nouvelles machines pour produire plus et qu'on passe notre vie au travail."
Esprit du bio, es-tu là ?
En somme, "l'esprit du bio" n'est pas respecté. Certains dénoncent l'opportunisme des grands magasins mais aussi des producteurs convertis "sans conviction". "Il y a eu des conversions massives cette année", atteste Stéphanie Pageot, présidente de la FNAB, la Fédération nationale d'agriculture biologique. Les consommateurs sont de plus en plus demandeurs et la crise en conventionnel poussent des producteurs à se convertir. Le bio est plus rémunérateur".
Sur le salon, le stand Juliet, qui s’affiche comme "la seule pomme produite exclusivement en agriculture biologique dans le monde", fait recette. Vendue dans les rayons de Lidl, Leclerc, Intermarché ou encore Casino, elle symbolise la démocratisation du bio.
L'envers du décor est moins reluisant. "La majorité des producteurs de la pomme Juliet était tous en conventionnel, explique un prestataire. Pour gagner leur vie, ils ont été obligés de passer en bio. Mais il n'y a pas de cohérence, pas d'éco-emballage, pas de circuits-courts. C'est la grande distribution qui aspire les volumes."
"Changer d'échelle en respectant nos valeurs"
Beaucoup d'agriculteurs ont ainsi quelques parcelles bio mais laissent la plus grosse partie de leur exploitation en conventionnel. Le retard de deux ans des aides bios et des sommes dues pour les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) freinent la dynamique. "L'État et les régions n'ont pas anticipé ces conversions massives. L'aide au maintien fait partie intégrante de ce secteur. Aujourd'hui, on est dans un désordre budgétaire qui ne donne aucune visibilité à ceux qui voudraient passer en bio et y rester", regrette Stéphanie Pageot.
Pressé par les associations, Stéphane Le Foll, en visite au salon de l'agriculture mardi, a annoncé qu'une enveloppe de 343 millions d'euros allait être débloquée. Elle permettra de rembourser 80% des aides dues pour 2016. Reste à payer celles de 2015, prévient la FNAB. "Enfin, qu'en sera-t-il de 2017 et des années suivantes ? Certaines régions n'ont plus 1 centime pour financer les conversions", alerte la présidente de la FNAB.
Pour Stéphanie Pageot, "le bio n'est pas une finalité. Il reste beaucoup de travail sur la transparence des prix, les marges, le commerce équitable... Il faut changer d'échelle en respectant nos valeurs".