Publié le 20 juillet 2020
ENTREPRISES RESPONSABLES
Devoir de vigilance : trois signes qui montrent son ancrage dans l'économie européenne
La pandémie de Covid-19 a montré la fragilité des chaînes d’approvisionnement et pointé du doigt les pratiques peu scrupuleuses de certains donneurs d’ordres envers leurs fournisseurs. Une situation qui remet sur le devant de la scène le devoir de vigilance. Alors que plusieurs pays préparent de nouvelles législations en la matière, les entreprises françaises déjà sous le coup de la loi hexagonale expérimentent les premières mesures juridiques et, en Angleterre, les investisseurs prennent les devants.

@jauhari1
En France, les grands groupes visés par des actions juridiques et judiciaires
Après Total, Téléperformance et EDF, c’est désormais à Suez d’être visé par une mise en demeure concernant son plan de vigilance, via l’une de ses filiales au Chili où le groupe est un acteur majeur de la distribution de l’eau. La FIDH et des associations chiliennes lui reprochent de ne pas avoir mis en place de mesures préventives et correctives suffisantes pour prévenir des fuites de pétrole dans une usine d’eau potable alimentant plus de 140 000 personnes dans la ville d’Osorno. L’entreprise a trois mois pour présenter des "mesures adéquates", sous peine d’une action en justice menée par les associations.
Ce ne serait pas la première du genre. Total est déjà assignée en justice pour deux cas : sa politique climatique et les droits humains en Ouganda. Pour les ONG et syndicats qui s’étaient battus pour l’adoption de cette loi unique au monde, l’outil juridique doit notamment permettre de faire peser sur les entreprises des risques plus matériels et coûteux que ceux de réputation qu’ils subissaient jusqu’à présent. Les cas Total sont à cet égard scrutés de près tant l’interprétation des tribunaux sera déterminante pour les affaires à venir. Selon une étude Sherpa-CCFD Terre solidaire, encore un quart des entreprises concernées ne respectent pas la loi.
En Allemagne, une législation en préparation pour l’automne et en 2021 dans l'Union européenne
Lors de son élaboration, la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance a été très critiquée par le patronat en raison de son impact négatif sur la compétitivité des entreprises hexagonales à l’international. Pourtant, une législation de ce type est prévue à l’automne en Allemagne. C’est en tous cas le souhait du ministre allemand du développement, Gerd Müller, qui doit mettre en œuvre l’engagement pris il y a deux ans par la coalition au pouvoir. Cela ne se fera pas sans heurts, les mêmes résistances patronales étant à l’œuvre.
Mais le mouvement vers des contraintes de plus en plus fortes en la matière semble inéluctable. Syndicats et investisseurs responsables s’accordent aujourd’hui pour constater que les mesures volontaires prises par les entreprises n’ont pas permis de modifier significativement et suffisamment les pratiques. L’Union européenne prépare d’ailleurs un texte ambitieux qui rendrait le devoir de vigilance contraignant pour toutes les entreprises de la zone d’ici 2021.
En Angleterre, appel au boycott d'une marque accusée d'esclavage moderne
En 2015, le Royaume-Uni a adopté une loi sur l’esclavage moderne pour prévenir les risques de traite humaine et de travail forcé, pouvant donner lieu à une amende illimitée pour les cas avérés. Si aucune amende record n’a été prononcée à ce jour, la loi a permis d’inscrire ces problématiques à l’agenda des entreprises et de leurs investisseurs. Boohoo, une marque de vêtements britannique en vogue vient d’en faire les frais. Depuis un mois, à la suite d’un rapport de l’ONG Labor behind the label et d’un reportage paru dans le Times, celle-ci fait l’objet d’une polémique sur les rémunérations indécentes et les mesures sanitaires insuffisantes par temps de Covid de l’un de ses fournisseurs de Leicester.
La polémique et "la réponse inadéquate" de l’entreprise a conduit l’investisseur Standard Life Aberdeen à vendre la majorité de ses actions Boohoo. Résultat : une chute vertigineuse en bourse et un boycott massif des grandes marques distributrices comme Asos, Amazon ou Zalando qui ont retiré les vêtements Boohoo de leur site. L’affaire éclabousse toute la chaîne textile britannique sommée de se réformer par de nombreuses ONG qui demandent au gouvernement de serrer la vis sur les pratiques du secteur. Le groupe Boohoo lui a annoncé une enquête indépendante sur les conditions de travail dans sa chaine d’approvisionnement britannique et l’investissement de 10 millions de livres pour mettre fin aux mauvaises pratiques.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud