Publié le 20 avril 2015
ÉNERGIE
Transition énergétique : 100 % d’électricité renouvelable en 2050, est-ce crédible ?
Le 8 avril, Mediapart dévoilait un rapport de l’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) décrivant un scénario où 100% du mix électrique français proviendrait des énergies renouvelables. Une fuite qui provoque un fort débat non seulement sur les raisons du report de sa publication définitive, initialement prévue mi-avril et repoussée de quelques mois, mais également sur le fond. Alors que les députés examinent en nouvelle lecture le projet de loi de programmation sur la transition énergétique, ce scénario est-il réaliste ?

Georges Gobet / AFP
La France pourrait-elle disposer en 2050 d’un mix de production électrique entièrement renouvelable ? Oui, estime l’Ademe [1] dans une étude dont une version de travail a été publiée par Médiapart le 8 avril. Selon le document, une telle hypothèse est envisageable à la fois sur les plans technique et économique. Dans le cas d’un scénario 100 % énergies renouvelables (ENR) ou d’un scénario "40 % ENR / 50 % nucléaire" (ce qui est actuellement prévu par la loi sur la transition énergétique) à l’horizon 2050, le prix de l’électricité serait comparable.
La publication de sa version définitive, prévue précédemment mi-avril, a été repoussée de quelques mois (elle pourrait avoir lieu à la fin de l’été ou à l’automne). Le 13 avril, l’UFE [2] a témoigné de son scepticisme quant à la pertinence d’un scénario 100 % ENR. L’association française du secteur de l’électricité a mis en avant les "limites" qu’elle voit à l’étude dans une réaction intitulée "100 % ENR en 2050 : possible… vraiment ?"
Une méthodologie unanimement reconnue
Alors qu’en est-il réellement ? Premier constat : le sérieux avec lequel l’étude a été réalisée est unanimement reconnu. "Le modèle de l’Ademe semble sérieux et bien conçu", constate l’UFE. "La méthode utilisée ne soulève aucun problème particulier", confirme Yannick Pérez, professeur associé en économie de l’énergie à Centrale Supélec. D’ailleurs, l’analyse a fait l’objet d’une "revue par les pairs" dans le cadre d’un "comité d’échanges". Ce comité a associé des énergéticiens, l’État, les collectivités locales, des experts ou encore des ONG.
Si la méthode utilisée n’est pas contestée, reste à savoir si les hypothèses retenues sont réalistes. "Elles sont assez standards pour ce genre d’exercice, ni trop optimistes, ni trop pessimistes", juge Yannick Pérez. Elles s’annoncent toutefois ambitieuses. Dans le scénario de référence, l’éolien et le solaire représenteraient respectivement 63 % et 17 % de la production d’électricité en 2050. "Cela suppose de multiplier par 15 la capacité éolienne terrestre", précise Jérémie Haddad, directeur des activités de conseil pour le secteur de l’énergie chez Accenture. Et ce alors que le développement de nouveaux champs reste actuellement lent en France.
Le scénario suppose aussi une baisse suffisamment rapide du prix des ENR. Ce prix est amené à devenir moins élevé que celui du nucléaire, dont les coûts sont au contraire en augmentation. Reste à savoir quand.
Des challenges à relever pour atteindre un objectif qui reste très ambitieux
Mais pour Jérémie Haddad, l’hypothèse la plus incertaine du scénario est liée à la capacité à stocker l’électricité en volumes suffisants pour gérer l’intermittence des ENR. "100 % d’ENR serait aujourd’hui impossible. Le développement du stockage serait indispensable à la réalisation du scénario", explique-t-il. "Modifier deux ou trois variables pourrait changer complètement les conclusions. Mais c’est le propre de toutes les études faites à un horizon 2050", conclut le directeur d'Accenture.
L’UFE, de son côté, estime que le scénario s’avèrerait "une erreur stratégique pour la France". Pour elle, "toute solution à 100 % n’est ni souhaitable, ni rationnelle". L’UFE s’inquiète notamment du risque que le potentiel des ENR finisse par être atteint, limitant alors la hausse de la production d’électricité et donc la croissance.
Pourtant, "L’étude de l’Ademe montre que le potentiel de production d’ENR est trois fois supérieur à la demande. Il y a encore de la marge !", souligne Stéphane Chatelin, de négaWatt. Par ailleurs, "il n’y a plus forcément de lien direct entre croissance économique et consommation d’électricité", affirme-t-il. "Il y a un vrai débat entre économistes pour savoir s’il continuera à falloir toujours plus de production électrique pour stimuler la croissance. Avec le développement de l’efficacité énergétique et de la maîtrise de la demande, ce n’est plus le seul scénario possible", confirme Yannick Pérez. Cela dit, décorréler les deux, comme l’envisage le scénario 100 % ENR, "sera un véritable défi", prévient-il.
Enfin, autre question clé, "bien posée par l’Ademe : celle de l’acceptabilité sociétale d’un développement massif des ENR" en France, note l’UFE. "L’installation de panneaux solaires sur les toits ne suscite pas d’opposition. Celle de centrales solaires au sol se fait sur des friches industrielles ou militaires", tempère Stéphane Chatelin. "Quant à l’éolien terrestre, plus des deux tiers des riverains des installations existantes en ont une image positive, selon un récent sondage commandité par FEE [3]", ajoute le membre de négaWatt.
L’association se félicite du scénario de l’Ademe, qui va dans le sens de celui qu’elle avait présenté en 2011. Elle a publié le 16 avril une étude comparative entre les deux. "La principale différence, c’est que nous prévoyions il y a quatre ans un plus d’éolien en mer et un peu moins d’éolien à terre. C’est dû à l’amélioration des éoliennes à terre depuis 2011, prise en compte par l’Ademe", explique Stéphane Chatelin.
Au global, ce sont les similitudes qui prédominent. Et, comme le constate Jérémie Haddad, "le scénario initialement envisagé par une ONG est aujourd’hui jugé crédible par l’Ademe". Même si, comme on l’a vu, plusieurs défis devraient être relevés pour qu’il puisse se concrétiser.
[1] Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
[2] Union française de l’électricité
[3] France énergie éolienne, l’association des professionnels de l’énergie éolienne en France