Publié le 04 novembre 2015
ÉNERGIE
La transition écologique : une opportunité pour créer 60 millions d’emplois
L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que 60 millions d’emplois nouveaux pourraient être créés grâce à l’adaptation au changement climatique, principalement dans les pays émergents. Des dizaines de millions de personnes travaillent déjà dans l’économie verte mais pour changer d’échelle, il faut un cadre stable et cohérent. A quelques semaines de la COP21, l’OIT souhaite imposer le sujet à l’occasion des négociations climatiques qui se tiendront à Paris à partir du 30 novembre prochain.

Crédit Social Business
"Le défi du changement climatique et celui de l’emploi sont liés. Il faut les aborder conjointement". A un mois de l’ouverture de la conférence climatique internationale de Paris, Cyril Cosme, directeur du bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour la France, a souhaité remettre le sujet sur la table des négociations, lors d’un séminaire organisé avec le Conseil économique, social et environnemental (Cese), lundi 2 novembre. Il y a deux semaines, la Conférence sociale avait elle aussi, pour la première fois, mis la question de l’emploi et de l’environnement à son agenda.
"Le dérèglement climatique peut être anxiogène mais il peut aussi être source d’opportunités pour l’emploi, le travail décent et la justice sociale, poursuit Cyril Cosme. "Pour cela, il faut anticiper les restructurations économiques, adopter des stratégies d’adaptation pour sauvegarder certains secteurs clés notamment à travers la formation et se préoccuper des populations les plus vulnérables via la mise en place de systèmes de protection mutualisant le risque climatique."
Une productivité en baisse de 7,2 % en 2050 dans un scénario de statu quo
En juin dernier, l’OIT a publié un rapport intitulé "Travail décent et intégration sociale dans une économie verte", qui révèle que "l’économie verte peut créer entre 15 et 60 millions d’emplois supplémentaires à l’échelle mondiale en 2030 par rapport au maintien en l’état du modèle actuel". "La question, désormais, n’est pas de savoir s’il y aura ou non une transition énergétique – elle est inéluctable – mais il s’agit de savoir si on l’anticipe ou si elle s’impose à nous", réagit Marie-Béatrice Levaux, rapporteure d’un avis du Cese sur l’emploi dans la transition écologique.
Ne rien faire aurait des conséquences désastreuses pour l’environnement évidemment, mais aussi pour l’économie selon le rapport de l’OIT qui s’appuie sur des estimations du Bureau international du travail (BIT). Ainsi, si le scénario reste inchangé (Business as usual, BAU) et si nous continuons de puiser autant dans les ressources, les niveaux de productivité en 2030 seront inférieurs de 2,4 % à ceux d’aujourd’hui et de 7,2 % d’ici 2050. Par ailleurs, d’importants coûts sociaux seraient aussi associés à la dégradation de l’environnement et se traduiraient par une accentuation de la pauvreté, des inégalités, de la malnutrition et l’insécurité alimentaire.
Des pertes d’emplois limitées
En revanche, le rapport démontre que la protection de l’environnement et l’adaptation au changement climatique peuvent être un levier pour l’emploi. D’ores et déjà des dizaines de millions d’emplois verts ont été créés, notamment dans le secteur des énergies renouvelables, qui emploie aujourd'hui près de 5 millions de personnes, un chiffre en hausse de 21 % par an. L’OIT recense 2,9 millions d’emplois verts en 2010 au Brésil, 3,1 millions aux Etats-Unis et 14,6 millions dans l’Union européenne.
"Il ne faut pas exagérer les pertes d’emploi dues au changement climatique", commente Cyril Cosme. "Elles seraient de l’ordre de 1 % de la main d’œuvre des pays industrialisés, soit bien moins que celles qui ont accompagné la mondialisation ces dernières décennies et qui ont concerné 20 % des emplois dans les pays de l’OCDE. Les entreprises doivent comprendre que leur compétitivité future est liée à la façon dont elles vont tirer parti de la transition".
Les pays en développement gagnants
Huit secteurs clés vont connaître une transformation radicale. Il s’agit de l’agriculture, la sylviculture, la pêche, l’industrie manufacturière, le recyclage, l’énergie, la construction et les transports. Ils pèsent à eux tous la moitié de la main d’œuvre mondiale. Dans ces secteurs, les gains nets d’emploi vont principalement concerner les pays en développement qui vont avoir la possibilité de combler leur retard, notamment en ce qui concerne l’usage des technologies. Mais encore faut-il que les populations soient formées et que les gouvernements bénéficient d’une aide technique ou financière. C’est le sens du programme des emplois verts que l’OIT mène depuis 2009 dans ces pays.
Au Bangladesh, l’organisation participe à un projet de développement de panneaux solaires domestiques dans des zones très reculées. Au total, plus d’1,2 million de familles rurales ont eu accès à une énergie propre et plusieurs milliers d’emplois ont été créés. Autres exemples en Afrique, avec un projet de construction durable en Zambie sous la forme d’un partenariat public privé, avec notamment le groupe français Lafarge, visant à créer 4 000 emplois, et au Sénégal où une plante invasive est utilisée comme isolant thermique.
"Nous avons pu former des femmes et faire émerger des emplois décents avec un revenu assez important", décrypte Cyril Cosme. "Ce cercle vertueux a des répercussions sur le tissu économique et social local. Ces exemples illustrent que la transition est en marche, mais l’enjeu désormais est de changer d’échelle".
Besoin d’un cadre cohérent et constant
Dans l’avis du Cese sur l’emploi dans la transition écologique, adopté à la grande majorité en juin dernier, les auteurs soulignent que "l’emploi et le travail ne sont pas une simple variable d’ajustement de la transition écologique. Ils sont au contraire un levier pour sa réalisation, à travers la formation. Ils doivent donc être au cœur des politiques de transition écologique".
Pour Marie-Béatrice Levaux, rapporteure du texte, la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) est un instrument qu’il faut réinvestir et qui doit mieux intégrer l’objectif de transition écologique. Pour les entreprises de plus petite taille, des moyens d’anticiper les mutations sont à mobiliser dans les branches et les territoires. "Mais ce qu’il faut surtout, ce sont des signaux clairs afin qu’une dynamique économique s’engage", précise-t-elle. "Les entreprises ont besoin d’un cadre constant et cohérent. La France doit être moteur". Plus de 5 millions de personnes en France ont une activité liée à l’économie verte, soit un actif sur cinq.
Le directeur général de l’OIT, Guy Rider, sera présent pendant la COP21 pour porter le message. Et signe que le sujet prend de l’ampleur, le nouveau président du GIEC, Hoesung Lee, élu en octobre dernier, a indiqué vouloir promouvoir l’étude des questions liées "à la création d’emploi, la santé, l’innovation et le développement technologique".