Interdits de vol à l’aéroport de Schipol-Amsterdam, menacés d’une plus grande taxation en France, pointés du doigt sur les réseaux sociaux… Les jets privés, dix fois plus carbonés en moyenne par passager que les lignes régulières, selon l’association Transport & Environnement, sont devenus le symbole de l’injustice climatique. Les opposants haussent le ton, quitte à risquer des amendes comme celles prononcées jeudi 14 septembre pour le blocage d’un terminal de l’aéroport du Bourget.
Face aux critiques, le secteur veut changer d’image. La Fédération Nationale de l’Aviation et de ses Métiers (FNAM), XXX organisait le 10 septembre (mettre la bonne date) une conférence de presse pour "en finir avec la caricature". Elle vante, à contre-courant de ses détracteurs, des atouts pour l’intérêt général. Et n’hésite pas à qualifier l’aviation privée de "sobre" et "utile", rapport à l’appui.
"Désenclaver les territoires"
Le premier argument est celui du "désenclavement des territoires". L’aviation d’affaires augmenterait la compétitivité des entreprises de toutes les régions. Selon le rapport, seulement 12% des vols réalisés en jets ont des alternatives en ligne commerciale régulière dans l’agglomération. "Le jet privé se loge là où le train à grande vitesse n’est pas assez développé", précise Pascal De Izaguirre, le président de la FNAM. Le rapport donne l’exemple d’un vol entre Annecy et Nice réalisé en 45 minutes en jet contre 5h30 en voiture et 7 heures en train.
L’association Transport & Environnement nuance cet avantage dans une étude publiée en 2021. Elle souligne la présence, en Europe, d’alternatives en vols commerciaux réguliers pour 72% des vols en jet privé dans un rayon de 100 kilomètres. En outre, le fait que 80% des vols de jets aient des motifs professionnels, comme l’affirme la FNAM, est aussi contesté. L’EBAA, l’association représentant l’aviation privée à l’échelle européenne à l’origine de ce chiffre, explique auprès de Novethic que ce n’est qu’une estimation réalisée sans études ni sondages. L’association Transport & Environnement fait ainsi remarquer la prédominance de villes balnéaires comme Nice et Cannes et l’augmentation de leur trafic l’été.
En parallèle, certaines entreprises remettent en cause la nécessité de ces voyages et réduisent à la fois l’usage de l’avion et du jet privé. La banque Swiss Re s’est par exemple engagée à réduire en 2023 les émissions de CO2 de ses vols de 50% sur un an. Les entreprises engagées sont listées dans le tableau "Travel smart" de Transport & Environnement..
Les vols privés pour des activités de loisirs restent une catégorie importante. Les aéroclubs, présentés par la FNAM comme du loisir, représentent un tiers des émissions de CO2 du secteur. C’est la deuxième catégorie après le transport à la demande, considéré comme une activité surtout professionnelle et qui représente la moitié des émissions. Le reste, entre 15 et 20%, provient d’activités variées qui reposent entièrement sur l’aviation privée comme le secours aux personnes, la lutte anti-incendie ou encore les entreprises de parachutisme.
"La première aviation bas carbone"
L’autre argument pour défendre l’ensemble de l’aviation privée est sa capacité à innover. La FNAM assure que ce sera "la première aviation bas carbone". Elle définit le secteur comme "sobre" car le marché est resté stable ces dix dernières années. Le rapport souligne l’apparition d’aéronefs électriques comme le Pipistrel Velis Electro, un avion léger biplace, utilisé dans les aéroclubs. Les acteurs soulignent aussi l’adoption de 30% de biocarburants par certains acteurs comme Michelin Air Service, compagnie aérienne spécialisée dans le transport sur des sites industriels. Des chiffres qui devancent les objectifs européens mais qui doivent là encore être nuancés.
"La décarbonation est facilitée par la petite taille de cette industrie", reconnaît Pascal de Izaguirre. L’aviation privée ne représente que 4,5% des émissions de CO2 de l’aviation française, selon le rapport. Sa décarbonation pourrait-elle aider celle des autres ? Le président le concède : "les capacités de production de biocarburants ne sont pas suffisantes au regard des besoins de l’ensemble de l’aviation française".
La FNAM demande des investissements publics plus importants dans la recherche sur les biocarburants et mise sur un approvisionnement en énergies propres à l’étranger, notamment en Afrique. Reste aux acteurs publics à se positionner sur la répartition de ces ressources entre tous les secteurs.>>> part sur un autre sujet
Face au manque de rigueur dans les chiffres mis en avant par ce lobbie, la contre-attaque est difficile. La seule pression qui existe est réputationnelle. "L’Europe a développé une politique de transparence pour les lobbies mais les contrôles sont peu nombreux et opaques", explique à Novethic Lola Avril, chercheuse en sciences politiques à l’université d’Eastern Finland. "Ce sont des professionnels de l’influence, les associations qui représentent les intérêts des citoyens ont moins de moyens, ce déséquilibre est documenté depuis des années", alerte la spécialiste des lobbies européens.
Fanny Breuneval