Publié le 16 novembre 2018
ÉNERGIE
Gilets jaunes : seulement un cinquième des taxes sur le carburant va à la transition énergétique
Entre la hausse des températures et celle du prix des carburants, le combat n’est pas si simple à arbitrer par les Français, autant soucieux de voir la planète se dégrader que de voir leur pouvoir d’achat reculer. Ils expriment leur colère dans la manifestation des "Gilets Jaunes" ce 17 novembre. Pour le gouvernement, le choix est fait en faveur de la transition écologique… même si moins d’un cinquième des taxes récoltées ira à la transition écologique.

@PhilippeHuguen/AFP
[Mis à jour le 16 novembre 2018] 78 % des Français estiment "justifié" l'appel à bloquer les routes le 17 novembre pour protester contre la hausse du prix du diesel, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting réalisé pour France Info et le Figaro. 76 % des Français jugent même que ces hausses sont "une mauvaise chose car il faut avant tout favoriser le pouvoir d'achat des Français, quitte à ce qu'ils utilisent plus longtemps des produits pétroliers" dans les années à venir.
Les mesures annoncées par le Premier ministre, Édouard Philippe, pour "apporter des réponses aux préoccupations des Français" ne semblent pas apaiser la mobilisation des citoyens. Même le doublement de la prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule moins polluant semble passer inaperçu.
Cette manifestation des gilets jaunes pourrait sonner comme un accroc dans le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), publié le 8 octobre dernier. Celui-ci avait marqué l’opinion en assurant que le réchauffement de 1,5°C à 2°C interviendrait entre 2030 et 2050 et qu’il fallait d’ores et déjà engager des transformations "rapides" et "sans précédent", sous peine de "changements profonds voire irréversibles".
Soutien des ONG
Mais face à ce danger à moyen terme, les Français constatent l’impact du prix des carburants sur leur quotidien. En un an, le prix du gazole a progressé d'environ 23 % et celui de l'essence de 15 %. À 1,51 euro en moyenne la semaine dernière, le prix toutes taxes comprises du gazole a atteint un niveau jamais constaté depuis au moins le début des années 2000. Pour l'essence sans plomb 95, il faut remonter à mi-2014 pour retrouver des niveaux similaires, à 1,53 euro le litre.
En ce sens, les manifestants ont même reçu le soutien d'ONG environnemental. 23 d'entres elles ont écrit dans une tribune : "La vulnérabilité des Français au prix des carburants est un fait. Des mesures doivent donc être adoptées pour les sortir de cette dépendance. (Or) à l'instar des précédents gouvernements, le gouvernement actuel mène une politique des transports qui, à ce jour, n'est ni cohérente avec l'urgence climatique, ni juste socialement".
60 % de taxes
La hausse actuelle du prix des carburants est due à deux facteurs : la flambée des cours du brut connue en septembre et l'alourdissement des taxes. Ces dernières représentent 56 à 60 % des prix, selon l'Union française des industries pétrolières (Ufip).
La principale est la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Elle a progressé de 3,9 centimes par litre. En incluant la TVA, les taxes sur le gazole ont augmenté de 14 % et de 7,5 % pour l'essence en un an. Et elles doivent encore s’accroître l'an prochain, selon le projet de budget 2019.
Pour le Premier ministre Édouard Philippe, cette politique est parfaitement assumée. Le 24 octobre dernier lors des questions au gouvernement, il défendait des "mesures courageuses" afin de "faire en sorte que l'utilisation constante et croissante du fioul et du pétrole soit moins simple".
19 % pour la transition écologique
Il ajoute : "Lorsqu'on dit qu'il faut décarboner l'économie, tout le monde est d’accord. Mais quand on applique ces beaux principes sur l'utilisation de l'essence ou du gazole, c’est plus difficile à assumer. Nous, nous prenons nos responsabilités".
Lorsqu'on dit qu'il faut décarboner l'économie, tout le monde est d’accord. Mais quand on applique ces beaux principes sur l'utilisation de l'essence ou du gazole, c’est plus difficile à assumer. Nous, nous prenons nos responsabilités. #DirectAN pic.twitter.com/VUNNISejoa
— Edouard Philippe (@EPhilippePM) 23 octobre 2018
Reste que la fiscalité alourdie sur les carburants ne va pas uniquement vers l’écologie. Selon un rapport de l’Assemblée Nationale, la TICPE en 2019 devrait rapporter 37,7 milliards d’euros, soit une hausse de 3,9 milliards d’euros par rapport à 2018. Sur cette somme, 17 milliards iront au budget général de l’État et 7,2 milliards pour la transition écologique, soit 19 % du total (contre 21 % l’année passée). Le reste est réparti entre Départements, Régions et l’Agence de financement des infrastructures des transports de France.
Dans le Parisien, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, assure entendre "les inquiétudes des Français". Toutefois, il n’envisage "aucun retour en arrière" au sujet de l’accroissement des taxes sur les carburants en 2019. Il parle d’une "une politique conçue pour réduire le réchauffement climatique et les morts prématurées liées à la pollution de l’air". Reste à voir si la mobilisation du 17 novembre fera changer d’avis Matignon et Bercy.
Ludovic Dupin avec AFP