Publié le 04 janvier 2023
ÉNERGIE
Crise énergétique : aucun risque de coupure avant mi-janvier, les inquiétudes se focalisent sur les prochains hivers
Si l'hiver 2022-2023 semble pour l'instant se dérouler sans accroc en France, les inquiétudes se font de plus en plus vives quant aux prochains hivers, avec le nouveau retard annoncé sur l'EPR de Flamanville et la guerre en Ukraine qui se poursuit. Alors que les importations de gaz russe devraient complètement cesser l'hiver prochain, l'Union européenne tente à tout prix de trouver des alternatives. 26 projets de terminaux gaziers ont été lancés en urgence, à contre-courant de la transition écologique qui impose une réduction de notre consommation de gaz.

Nikolay Doychinov / AFP
Les efforts de sobriété et la météo particulièrement clémente ont pour l’heure réussi à éviter le black-out tant redouté. Selon la Commission de régulation de l’énergie, la France ne court aucun risque de coupure avant mi-janvier. Depuis le mois d'août, nous avons consommé près de 11% de gaz en moins, par rapport à la même période en 2018. Cependant, pour compenser les défaillances du parc nucléaire et hydraulique, la France n'a jamais consommé autant de gaz pour sa production d'électricité - le pays compte douze centrales au gaz. GRDF, le principal distributeur de gaz naturel en France parle ainsi d'une année 2022 "record".
Le nouveau retard pour la mise en service de l’EPR de Flamanville, annoncée pour le premier trimestre 2024, ne devrait pas améliorer la situation. Il accentue les tensions sur l’approvisionnement en électricité à l’hiver 2023-2024, dans un contexte déjà extrêmement difficile du fait de la guerre en Ukraine et de la diminution des importations de gaz russe. Le Shift Project anticipe ainsi, dans une récente étude, qu’en cas d’arrêt durable des approvisionnements de gaz russe, qui semble être la voie envisagée, la part des approvisionnements non-identifiés au sein de l’Union européenne atteindrait en 2025 pas moins de 40% de la demande en gaz de l’Union à cette date. Cela équivaut à un peu plus que les exportations totales du Qatar, le premier exportateur mondial de gaz en 2021.
"Avènement d’un régime géostratégique sous contraintes"
En cause : une vive concurrence d’approvisionnement sur le marché du Gaz naturel liquéfié (GNL). Aujourd’hui, l’Asie et l’Europe sont les deux plus gros importateurs mondiaux de gaz naturel. La demande de la Chine notamment devrait continuer à croître à un rythme soutenu. À celle-ci vient s’ajouter l’essor de nouveaux besoins massifs ailleurs en Asie (Inde, Pakistan, Thaïlande, Bangladesh, Indonésie,…). Or, selon les données de Rystad Energy sur lesquelles s'appuie l’étude, le taux de couverture de ces besoins par des contrats à long-terme sont plus importants en Asie que dans l’Union européenne jusqu’en 2035.
"Les tensions d’approvisionnement risquent de s’aggraver, compte tenu de la croissance attendue des besoins asiatiques d’importations d’une part, et de la lenteur dans la mise en œuvre des objectifs européens de sortie des énergies fossiles d’autre part. Ce risque semble confirmer l’avènement d’un régime géostratégique s’exerçant de façon systématique sous contraintes de disponibilité en énergie et en matière. Un régime redoutable pour les puissances importatrices", explique le Shift Project.
26 nouveaux projets de terminaux de regazéification de GNL lancés dans l'UE
Cette pression sur la demande mondiale en GNL va conduire à des prix élevés et volatils, d’autant plus si l’UE doit recourir à des contrats à court-terme, menaçant les industriels européens déjà asphyxiés par l’actuelle flambée des prix. Du côté de la production, les États-Unis et le Qatar pourraient occuper des positions de plus en plus maîtresses, indique le Shift Project, mettant à mal la souveraineté européenne. Après le Qatargate au Parlement, le Qatar n’a pas hésité à se servir de la dépendance au gaz des économies européennes comme arme de dissuasion contre toute sanction. Il reste un pays controversé pour son manque de respect des droits humains comme l’explique l’étude dédiée au sujet, publiée sur Novethic Essentiel.
Enfin, outre la question de l’approvisionnement, reste celle des capacités des pays de l’UE à développer des infrastructures de regazéification pour répondre aux besoins d’importation en GNL. "Des problèmes de disponibilité en méthaniers, en capacités de stockage puis d’acheminement après regazéification peuvent engendrer de nombreux goulots d’étranglement", pointe le Shift Project. Depuis le début de la guerre en Ukraine, 26 nouveaux projets de terminaux de regazéification de GNL ont été lancés dans l'UE, dont 11 rien qu’en Allemagne, selon un rapport du Global Energy Monitor.
Pour l'ONG, "ces propositions de projets menacent de faire dérailler les objectifs climatiques de l'UE tout en faisant peu pour répondre à la crise énergétique, car la plupart des contrats de GNL garantis à ce stade par les acheteurs de l'UE devraient commencer à partir de 2026 pour une durée de 15 à 20 ans". Pour rappel, la mise en œuvre complète de Fit for 55 doit permettre de réduire la consommation de gaz de l’UE de 30%, d’ici à 2030. Dès lors, "la transformation vers une économie européenne sobre en énergie et en matière apparaît comme un enjeu existentiel", rappelle le Shift Project.
Concepcion Alvarez @conce1