Publié le 10 février 2020

ÉNERGIE

Le parlement européen valide de nouveaux projets gaziers : premier test raté après l'adoption du Green Deal

Le Parlement européen a voté en faveur de nouveaux projets d'infrastructures gazières au sein de l'Union. Deux récentes études appelaient pourtant à s'y opposer en vertu de l'objectif de neutralité carbone que s'est fixé Bruxelles dans le cadre du Green deal. Les experts mettent aussi en avant l'inutilité de ces projets en termes de sécurité d'approvisionnement et alertent sur les milliards d'euros de perte de valeur d'actifs qui vont en découler. 

Terminal GNL en mer adriatique 01
Terminal méthanier en mer Adriatique.
@CC0

[MAJ le 12 février] C’est un premier test raté pour la Commission européenne, emmenée par Ursula von der Leyen qui a fait de l’urgence climatique son cheval de bataille. Les députés européens ont voté, ce mercredi 12 février, en faveur du financement de 32 nouvelles infrastructures gazières (principalement des gazoducs, quelques terminaux GNL et des installations de stockage). Celles-ci font partie d’une liste plus large de "projets d’intérêt commun" (PCI), qui recense l’ensemble des chantiers d’infrastructures énergétiques éligibles aux fonds communautaires. Elle a été établie par la précédente commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker.

"Le Parlement européen choisit de préserver les énergies fossiles, en s'opposant à notre proposition. Mais ce n'est pas fini. Nous étions 103 signataires, 169 votant.e.s, et nous continuerons à réclamer des investissements cohérents, qui garantissent un avenir et climat stable !" a réagi l'eurodéputée française Marie Toussaint.

Pascal Canfin, président de la commission environnement, fait partie des députés à avoir validé la liste PCI, après avoir obtenu des garanties de la part de Bruxelles. "Nous avons développé une alternative à l’objection, pour ne pas ralentir le financement potentiel de projets nécessaires, explique-t-il. A la veille du vote, la Commission européenne a entendu la demande du Groupe Renew portée par la délégation Renaissance. Frans Timmermans, le Vice-président en charge du Green Deal, a déclaré que 'pour recevoir des fonds européens, les projets de la liste PCI devront soutenir nos ambitions dans le cadre du Green Deal'".

Des projets inutiles

Parmi les projets inclus dans la liste PCI, il y a par exemple le gazoduc trans-adriatique (TAP) traversant l'Italie, l'Albanie et la Grèce, le terminal de GNL Shannon en Irlande, pour importer du gaz des États-Unis, le terminal flottant de GNL croate sur l’île touristique de Krk ou encore le gazoduc Eastmed reliant Israël à Chypre et à la Grèce. Ces projets représentent 338 gigawatts (GW) de capacités supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 2 000 GW déjà existants alors que pour tenir ses objectifs climatiques, l’UE devrait baisser sa consommation de gaz de 29 % d’ici 2030.

Pour le cabinet de conseil Artelys, qui vient de publier un rapport (1) pour la Fondation européenne pour le climat, ces projets gaziers ne sont pas nécessaires du point de vue de la sécurité d'approvisionnement et sont susceptibles d’entraîner un gaspillage de 29 milliards d’euros de fonds publics. Le document montre en effet que les infrastructures gazières existantes sont suffisantes pour répondre aux futurs scénarios de demande de gaz dans l'Union, même en cas de perturbations extrêmes de l'approvisionnement.

"La liste PCI est établie sur la base des travaux de nombreux experts et reflète les besoins des États membres pour achever et intégrer leurs marchés de l'énergie avec un approvisionnement sûr, abordable et durable. Les projets en question doivent donc être considérés comme valables et comme un élément nécessaire de l'infrastructure énergétique de l'UE", a de son côté expliqué James Watson, le secrétaire général d'Eurogas, l’association européenne du gaz. Mais certains remettent en question les projections retenues car elles sont établies par les plus grands constructeurs et exploitants de gazoducs d'Europe. 

Le GNL aussi néfaste pour le climat que le charbon

Une autre étude récente publiée par l'ONG Global Energy Monitor (2) a elle aussi recensé les projets gaziers européens, en y incluant les centrales à gaz et arrive à la même conclusion. Elle dénonce 117 milliards d’euros de dépenses "inutiles" (dont 20 milliards d'euros au Royaume-Uni). "L'UE dispose déjà d'une capacité d'importation représentant près du double de sa consommation et les centrales déjà existantes ne génèrent qu'environ un tiers de leur capacité électrique", préviennent les auteurs.

Le gaz est présenté par ses défenseurs comme une énergie de transition car lors de sa combustion, il émet moins de CO2, d’oxydes d’azote et de soufre que le charbon et le pétrole. Mais selon une récente étude de Bloomberg Green (3), l’empreinte carbone des nouvelles installations de gaz naturel liquéfié (GNL) aux États-Unis rivalise avec celles de l’industrie du charbon à cause notamment du méthane qui est relâché pour sa production. Or, l’Europe importe 70 % du gaz qu’elle consomme, majoritairement depuis la Russie par pipeline mais aussi du GNL provenant des États-Unis et du Moyen-Orient.      

Concepcion Alvarez, @conce1 

(1) Voir le rapport d'Artelys 

(2) Voir le rapport du Global Energy Monitor

(3) Voir l'étude de Bloomberg Green


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Seuls 1 % des investissements des pétroliers vont vers d’autres énergies que les fossiles

Les grands pétroliers ont entamé un virage vers des énergies alternatives aux fossiles, mais bien trop timidement assure l’Agence Internationale de l’énergie. Pour ces experts, les entreprises privées et publiques doivent aller beaucoup plus vite. Pour l’heure, les investissements hors...

Engie ne pompera plus ni pétrole, ni gaz

Après s’être retiré de ses activités dans le gaz de schiste britannique, Engie (ex GDF Suez) vient d’annoncer la vente de l’ensemble de ses activités d’exploration-production d’hydrocarbures. La dirigeante Isabelle Kocher veut faire de son groupe un leader de la transition énergétique en...

100 % de gaz vert en 2050, c’est possible d’un point de vue technique et économique, selon l’Ademe

Après s'être penché sur un scénario 100 % électrique en 2050, l'Ademe a refait l'exercice avec le gaz renouvelable. Selon l'agence, la France a les capacités de produire 100 % de gaz vert à cet horizon grâce à la généralisation de la méthanisation et du "power to gas". 

Utiliser le gaz comme énergie de transition est incompatible avec un scénario 2°C

Un rapport publié par le Climate Action Tracker (CAT) juge que l’avenir du gaz naturel dans le système énergétique mondial est limité, même comme énergie de transition. En cause : la concurrence croissante des énergies renouvelables. Selon les experts, des investissements massifs dans le...

ÉNERGIE

Energies fossiles

L’extraction des énergies fossiles se fait à un coût environnemental de plus en plus élevé. Si leur épuisement est encore lointain, les modèles économiques qui ont fait la fortune des grandes compagnies pétrolières sont aujourd’hui bousculés.

2022 TotalEnergies AG manifestants Denis Meyer ANV COP21 Alternatiba Paris Les Amis de la Terre France Greenpeace 6052

TotalEnergies, Shell… la pression monte aux Assemblées générales des compagnies pétrolières

La fin du mois de mai s’annonce agitée pour les compagnies pétrolières. De nombreuses résolutions climatiques sont attendues pour leurs assemblées générales, certaines recueillant des soutiens de poids parmi les grands investisseurs mondiaux. TotalEnergies fait également l’objet de campagnes d’ONG...

Greenpeace plateforme petroliere shell fevrier 2023 Greenpeace

Shell admet que pour rester sous 1,5°C, la production de pétrole et gaz ne doit plus augmenter

Shell admet pour la première fois que pour rester sous 1,5°C de réchauffement, il ne faut plus augmenter la production de gaz et de pétrole. Pour autant, la major, sous le coup de plusieurs actions en justice, n'a pas modifié sa trajectoire et mise encore largement sur les énergies fossiles.

Terminal methanier rio grande LNG au sud du texas RioGrandeLNG

Société générale et Crédit agricole disent non au très controversé projet de gaz de schiste Rio Grande LNG

La course au gaz naturel liquéfié n'en finit plus. Avec la guerre en Ukraine, la fin des approvisionnements en gaz russe a semé la panique, et les pays sont tous azimuts pour décrocher de nouveaux contrats, France en tête. TotalEnergies serait sur le point de signer un nouveau contrat, permettant de...

Tiktok video les jeunes se mobilisent contre projet willow

Projet pétrolier Willow en Alaska : les jeunes s'emparent de l'activisme climatique sur TikTok

Sur TikTok, des centaines de vidéos ont encouragé les jeunes à se mobiliser contre le projet pétrolier Willow en Alaska ces dernières semaines. Si certaines ont généré des milliers de vues, soutenant pétition et envoi massif de courriers à la Maison-Blanche, cela n’aura pas suffi pour faire plier le...