Publié le 15 juin 2015

ÉNERGIE

Face au lobby gazier, la société civile résiste

Depuis quelques semaines, le lobby gazier se fait entendre. Les entreprises du secteur affirment que le gaz est le combustible de la transition énergétique. Mais les ONG veillent. Le 10 juin, dans le cadre de la conférence sur le climat de Bonn, plusieurs d’entre elles ont milité pour que les compagnies pétrolières et gazières ne puissent être présentes dans l’enceinte des négociations sur le climat, auxquelles elles peuvent assister en tant qu’observateurs.

En 2012, EDF a transformé une centrale électrique de Martigues. Elle fonctionne désormais au gaz alors que le combustible précedent était du pétrole.
Gérard Julien / AFP

"Les grandes entreprises des énergies fossiles n’ont pas leur place dans l’enceinte des négociations [où elles ont un statut d’observateurs, NDLR] et faussent le débat. On pourrait faire un parallèle avec les producteurs de cigarettes, qui ont été exclus des discussions à l’OMS sur la lutte contre le tabagisme", estime Célia Gautier, du Réseau Action Climat France.

Car pour les ONG, la coupe est pleine. Lors de la conférence de Bonn, le réseau d'associations environnementales Climate action network s’est même fendu d’une lettre à Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la CCNUCC (organisme onusien chargé des négociations climatiques), pour demander l'exclusion de ces multinationales de l'enceinte des négociations de l'ONU sur le climat.

Car depuis quelques semaines, le lobby gazier s’est réveillé. Le 1er juin, 6 compagnies pétrolières et gazières européennes, auxquelles s’est adjointe une septième cette semaine, ont appelé l’ONU à fixer un prix du carbone lors de la COP 21.

 

Objectif des compagnies : reprendre des parts de marché au charbon

 

Mais cette implication dans la lutte contre le changement climatique est avant tout stratégique. Car ces entreprises cherchent en fait à défendre leurs parts de marché : "En Europe, le charbon est moins cher que le gaz. Ces groupes ont vu une opportunité à saisir : celle de reprendre des parts de marché au charbon en tentant de se servir de la réforme de l’ETS, le système européen d’échange de quotas d’émissions", explique Matthieu Auzanneau, chargé de la prospective au Shift Project.

"On entend de plus en plus les vieilles majors occidentales dire qu’elles sont désormais des gaziers autant que des pétroliers. Ce discours n'a rien à voir avec la lutte contre le changement climatique. C’est un choix imposé par leur difficulté à reconstituer leurs réserves de brut", poursuit le représentant du Shift Project.

Potentiellement favorable à l’activité des compagnies pétrolières, leur initiative ne l’est-elle pas aussi au climat ? De fait, une centrale électrique au gaz naturel émet deux fois moins de CO2 qu’une centrale au charbon.

Le scénario 450 ppm (parties par million) présenté à l’automne dernier par l’AIE (Agence internationale de l’énergie) prévoit d’ailleurs qu’à horizon 2040 "la consommation mondiale de gaz augmente [de 22 % ndlr], alors que celles de pétrole et de charbon diminuent beaucoup", rappelle Georges Bouchard, délégué général de l’Association française du gaz (AFG), le syndicat professionnel de l’industrie gazière. Ce scénario permet de ne pas dépasser 450 ppm de CO2 dans l’atmosphère (c’est-à-dire de limiter le réchauffement à moins de 2°C).

"On a intérêt à laisser inexploité le plus possible de charbon et de pétrole pour les remplacer par du gaz", estime le délégué général de l’AFG. "Nous ne dirons jamais que le gaz est la seule solution au problème du réchauffement climatique, mais nous pensons que c’est l’une des solutions", précise-t-il.

 

Le gaz fossile ne peut être qu’une énergie de transition

 

Cela dit, l’AIE a aussi présenté un scénario de référence qui s’appuie sur les engagements et projets annoncés par les États. Dans ce scénario, la demande gazière augmente fortement (+ 55 %) d’ici à 2040. Celles de pétrole et de charbon continuent aussi à croître, mais dans de moindres proportions. Or, le verdict de l’AIE est sans appel : ces hypothèses ne permettent pas de limiter la hausse des températures à 2°C.

De ce fait, "dans son scénario de référence, l’AIE appelle à être vigilant quant au rôle à jouer par le gaz dans la transition énergétique. Car, dit-elle, à force de le présenter comme la voie royale pour pallier l’intermittence des ENR, il risque de devenir la première source d’émissions supplémentaires de CO2 à l’horizon 2030-2040", souligne Matthieu Auzanneau.

Attention, donc, à ne pas construire trop de centrales au gaz naturel. Si elles remplacent des centrales au charbon, elles permettront certes d’obtenir une réduction des rejets de CO2 dans un premier temps. Mais comment aller ensuite au-delà dans les baisses d’émissions, alors que les centrales au gaz auront une durée de vie de quelques décennies et que le déploiement à large échelle du captage et du stockage de carbone (CSC) reste plus qu’incertain

Pour Célia Gautier, le gaz fossile est donc "une énergie de transition" certes, mais "pour une très courte période seulement". Une étude parue en début d’année dans Nature estime d’ailleurs qu’il faudrait laisser 52% des réserves de gaz fossiles dans le sous-sol afin de contenir le réchauffement planétaire en-deçà de 2°C.

 

À long terme, le gaz aura sa place s’il est renouvelable

 

"On peut imaginer qu’à terme, le gaz joue un rôle important dans la production d’électricité et de chaleur ainsi que dans les transports. Mais à condition qu’il s’agisse de gaz renouvelable", poursuit Célia Gautier. En France par exemple, le biométhane pourrait représenter 10 % du mix énergétique à l’horizon 2030.

Si l’AFG (Association française du gaz) imagine que le gaz sera une partie de la solution à long terme, c’est d’ailleurs bien dans l’optique d’une augmentation de la production de gaz renouvelable.

Malheureusement, constate la représentante du RAC-France, "les compagnies pétrolières investissent très peu dans le biométhane et ne l’évoquent pas" en faisant la promotion du gaz. Au risque de laisser croire qu’un recours peu contraint au gaz fossile sera possible, voire souhaitable, y compris à long terme.

Carole Lanzi
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