Publié le 14 septembre 2021

ÉNERGIE

Le gazoduc Nord Stream 2 est achevé : une victoire géopolitique russe, une défaite pour l’indépendance européenne

Un nouveau canal s’ouvre pour déverser le gaz russe vers l’Europe, avec l’achèvement du gazoduc géant Nord Stream 2 qui aboutit en Allemagne. Cette infrastructure à 10 milliards de dollars est vue par beaucoup, en particulier par les Américains et les Ukrainiens, comme une puissante arme géopolitique de Moscou. Par ailleurs, elle met en question l’atteinte de la neutralité carbone par l’Europe.

Nord Stream 2 Gazprom NordStream2 Sputnik via AFP
Début septembre, Gazprom a annoncé l'achèvement du gazoduc Nord Stream 2.
@Sputnike via AFP

Trois ans après le début du chantier, la Russie, via son industriel Gazprom, triomphe. Le pays a annoncé l'achèvement du gazoduc Nord Stream 2. Il s’agit d’un tuyau de 1 230 kilomètres, passant sous la Baltique, pour conduire le méthane russe vers l’Allemagne. C’est l’accomplissement d’un immense chantier de 10 milliards d’euros. Il a été financé par cinq entreprises européennes (OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper, Shell), mais dont l’actionnariat est 100 % russe. Il suit le trajet de Nord Stream 1 entré en service, en 2012.

Cette infrastructure énergétique va permettre de doubler les volumes de gaz acheminés par l’Europe par le nord, pour un total de 110 milliards de mètres cubes de gaz par an. L’équivalent de deux fois et demie la consommation annuelle de la France. Un risque d’accroître considérablement la dépendance de l’Europe vis-à-vis de Moscou, craignent beaucoup. Sachant que, par le passé, la Russie a déjà coupé les livraisons de gaz vers l’Ukraine et l’Europe s’était abstenue de toute représailles en raison de craintes de pénurie.

Le Président américain Donald Trump a tenté pendant tout son mandat de faire annuler ce gazoduc en menaçant de sanctions les entreprises participant à sa construction. Mais l’arrivée au pouvoir de Joe Biden a relâché la pression permettant à Gazprom de terminer le chantier. Le nouveau patron de Washington mise sur l’action des autorités allemandes pour tempérer Moscou et protéger Kiev. En effet, le doublement de la capacité de la voie Nord est une menace pour l’Ukraine, traditionnel allié occidental, pays par lequel transite de grande quantité de gaz vers le Vieux Continent. Le manque à gagner serait de 1,5 milliard de dollars par an.

Un projet géopolitique russe

Fin août lors d’une visite en Ukraine, la chancelière Allemande, qui quittera ses fonctions sous peu, a assuré que Berlin fera tout pour faire prolonger le contrat de transit russo-ukrainien expirant en 2024 et a soutenu que le gaz ne devait être utilisé par Moscou comme "une arme". Peu convaincu, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a considéré Nord Stream 2 comme une "arme géopolitique dangereuse".

Côté américain, la porte-parole de la diplomatie américaine, Jalina Porter, a lancé "Nous continuons à nous opposer à ce gazoduc en tant que projet géopolitique russe". Sans expliquer toutefois concrètement ce qui sera mis en place pour l’empêcher. Il faut dire que pour les Américains, ces nouvelles capacités de livraisons russes tombent mal alors que les États-Unis misent beaucoup sur l’exportation de son gaz outre-Atlantique. Désormais, Moscou va pouvoir – encore plus - influencer les cours mondiaux du gaz.

L’autre enjeu de ce gazoduc est aussi environnemental. À l’heure où l’Europe vise la neutralité carbone et s’interroge sur la pertinence de l’utilisation du gaz comme énergie de transition, l’achèvement de ce titanesque chantier pèse lourd dans la balance. Jean-Marc Jancovici, Président du Shift Project, est très critique. Dans un post LinkedIn, il commente : "Un gazoduc est fait pour durer des décennies (au moins 50 ans pour les infrastructures enterrées (…) Or, l'Europe doit être neutre en CO2 d'ici 2050, donc dans 30 ans. La simple existence de ce gazoduc est donc une garantie que nous n'en prenons pas le chemin".

Ludovic Dupin @LudovicDupin


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

ÉNERGIE

Energies fossiles

L’extraction des énergies fossiles se fait à un coût environnemental de plus en plus élevé. Si leur épuisement est encore lointain, les modèles économiques qui ont fait la fortune des grandes compagnies pétrolières sont aujourd’hui bousculés.

Manifestations energies fossiles NY 170923 LEONARDO MUNOZ AFP

Stopper les énergies fossiles, mot d’ordre des manifestants de New York pour le président Biden qui les développe

Des marches pour sortir des énergies fossiles étaient organisées dans 700 points du globe ce week-end pour remobiliser sur la lutte contre le changement climatique. La plus attendue avait lieu dimanche dans les rues de New York. Ses milliers de participants avaient placé en tête de cortège leur...

Financement energies fossiles petrole banque istock Leestat

Sortie des énergies fossiles : Le G20 échoue à tirer les leçons du premier bilan mondial de l'Accord de Paris

Le G20 de Delhi était le premier grand rendez-vous en amont de la COP28, et il se solde par un échec. Pourtant, l'occasion était belle de se saisir du premier bilan de l'action climatique, publiée la veille de l'ouverture du sommet, et ainsi donner l'élan tant attendu pour une action climatique...

Eoliennes luzerath allemagne RWE mine charbon Alle Dorfer

L'énergéticien RWE démolit des éoliennes pour agrandir une mine de charbon en Allemagne

Tout un symbole ! En Allemagne, le géant RWE est en train de démonter des éoliennes pour agrandir une mine à ciel ouvert de charbon, le tout avec le feu vert du gouvernement. Avec la guerre en Ukraine et les coupures de gaz russe, le pays a relancé des projets de charbon, bien que ce soit la plus...

Influenceurs petroliers capture ecran Instagram

Les influenceurs, nouvelle arme des pétroliers pour redorer leur image

Les compagnies pétrolières n’hésitent plus à faire appel à des influenceurs pour leurs campagnes de communication. Leur but : promouvoir leur imaginaire et regagner la confiance de générations sensibilisées à la crise climatique. Une méthode mise en lumière par le média indépendant DeSmog qui a...