Publié le 16 février 2017
ÉNERGIE
La difficile réforme du marché carbone européen
Le Parlement européen se penchait hier sur la réforme du marché carbone pour la période 2021-2030. Un pas de plus vers une refonte nécessaire du système, entamée il y a un an et demi, pour le rendre plus efficace dans la lutte contre le changement climatique. Mais le texte voté par les députés n'est pas aussi ambitieux que l’auraient souhaité les ONG environnementales. Certains acteurs, comme les industriels du ciment, ont bataillé en coulisse avec succès. Le point sur la situation.

Elyxandro Cegarra / Citizenside / AFP
À quoi sert le marché carbone européen ?
Créé en 2005, le Système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE ou EU ETS) permet d'intégrer le prix du carbone dans l’économie.
Objectif : encourager les investissements dans les technologies à faible intensité carbone.
Principe : celui du "pollueur-payeur". Ce sont aux acteurs économiques, émetteurs de gaz effet de serre (GES), de subir le coût de leur impact sur le climat.
Le mécanisme fixe un plafond annuel d’émissions aux différentes industries. Celles qui le dépassent peuvent acheter des quotas supplémentaires à celles qui ne l’ont pas atteint, par un système d'enchères.
11 500 installations industrielles sont concernées (aciéries, centrales électriques, cimenteries, etc.).
Certaines industries, les plus soumises à la concurrence internationale, disposent de quotas gratuits (57% des quotas sont vendus aux enchères). La valeur de ces quotas gratuits est évaluée par le think tank Corporate Europe Observatory à 198 milliards de dollars sur la période 2021-2030 (avec un prix à 25€/t). Aujourd'hui, seul le secteur de l'électricité est presque totalement soumis aux enchères.
Pourquoi le réformer ?
Le marché carbone européen est grippé depuis des années par un prix bien trop bas de la tonne de CO2 (5€ actuellement) pour inciter les acteurs économiques concernés à baisser de façon significative les émissions de gaz à effet de serre. Une situation provoquée par une sur-allocation de quotas, aggravée par la crise économique de 2008, qui a vu les émissions de GES baisser du fait de la chute de la production industrielle.
Or, dans le cadre de l'Accord de Paris, l'Union européenne, troisième émetteur mondial avec 3,47 milliards de tonnes de CO2 en 2015, s'est engagée à baisser de 40% ses émissions de GES. Mais les moyens mis en place sont largement insuffisants.
La réforme doit permettre d'augmenter le prix de la tonne de CO2. Mais, en l'état, les experts tablent sur une hausse minime, de l'ordre de 10 à 15€ d'ici 2020. Insuffisant quand on sait que le prix minimum pour opérer un virage dans le mix énergétique et l'économie est estimé à 30€/t.
Qu'ont voté les députés européens ?
Ce 15 février, les députés européens ont voté en faveur de la réforme (qui porte sur la période 2021-2030). Mais en diminuant son ambition.
Les points saillants :
La réserve de stabilité. Il s'agit d'une sorte de compte dans lequel on peut déposer les quotas excédentaires, qui sera mis en place en 2019. Sa capacité d’absorption a été doublée : elle pourra absorber jusqu’à 24% d’excès de crédits. Et 800 millions de quotas gratuits seront définitivement supprimés de la réserve de stabilité à partir de 2021. Aujourd'hui, les ONG parlent cependant d'un excédent de 2 milliards de quotas gratuits et de 4 milliards en 2020.
La réduction annuelle du nombre de quotas. Une des mesures phares était de réduire ce nombre. Les députés ont tranché en faveur de la proposition la plus faible : à 2,2% (1,74 % pour 2013-2020).
Les quotas gratuits. C'était l'un des points les plus clivants du texte défendu par la commission environnement. Il a été rejeté, au grand dam des ONG environnementales, qui dénoncent le poids des lobbies. Le texte visait particulièrement le secteur du ciment. Il prévoyait de lui retirer l'allocation de quotas gratuits. En échange de quoi, un système permettant d'inclure les importateurs de ciment et de clinker (un des principaux constituants du ciment et son élément le plus intensif en CO2) serait mis en place après étude d'impact de la commission. Un système inapplicable selon l'industrie du ciment, qui le juge contraire aux règles de l'OMC.
Le secteur maritime. Les députés ont approuvé son inclusion dans le marché.
Qu'est ce qui coince ?
Le principal frein à cette réforme est l'industrie du ciment. Pourquoi ? Il s'agit d'une industrie clé dans le mécanisme, car extrêmement polluante. Elle représente 8% des émissions européennes (et 5% au niveau mondial).
Aujourd’hui, toutes ses allocations d’émissions sont gratuites, car le secteur est en proie à une forte concurrence mondiale. C'est ce système que l'industrie veut conserver. Et c'est ce qu'elle a obtenu grâce au vote des eurodéputés PPE. A l'issu du vote, tous les industriels ont d'ailleurs salué un texte équilibré entre les besoins de réforme du mécanisme et ceux des industriels.
Cette allocation gratuite de quotas a cependant permis à l'industrie cimentière de générer des "profits exceptionnels" : plus de 5 milliards d’euros entre 2008 et 2014, selon Carbon Market Watch. Des gains qui permettent de financer les innovations bas carbone, rétorque l'industrie.
Quelle suite pour la réforme ?
Les négociations tripartites (entre le Parlement, la Commission et le Conseil) continuent.
Prochaine étape, le 28 février : la réforme doit être débattue par les ministres européens de l’environnement lors du Conseil environnement. En décembre, ils avaient échoué à trouver un accord. Parmi les points de divergence : le niveau d’ambition du marché, le traitement des secteurs industriels exposés à la concurrence internationale et les mesures de flexibilité pour les pays de l’Est.