Publié le 26 mai 2018
ÉNERGIE
[Décryptage] Shell fait valider sa stratégie climat par ses actionnaires
Lors de l’Assemblée générale de Shell, la résolution de Follow This pour imposer au pétrolier d’adopter une stratégie climat ambitieuse n’a réuni que 5 % des voix des actionnaires. Mais au-delà des chiffres, plusieurs observateurs y voient un signal fort envoyé à l’industrie pétrolière alors que la question du réchauffement s’est retrouvée au cœur des discussions. Les actionnaires n’ont toutefois pas encore osé s’opposer frontalement au pétrolier.

@Shell
Le résultat de ce vote était très attendu. La résolution de "Follow This", soumise lors de l’AG de Shell du 22 mai, voulait forcer Shell a adopté une stratégie compatible avec l’accord de Paris. Le score n’a pas atteint les résultats espérés par les défenseurs du climat, mais il a nourri le débat sur le rôle des investisseurs dans la transition énergétique des compagnies pétrolières. La première victoire reste donc d’avoir fait du climat l’un des principaux thèmes de l’Assemblée Générale de Shell. La moitié des questions de la réunion qui a duré quatre heures ont porté sur la stratégie climat du groupe.
Ambiguïté des actionnaires
Une coalition de 27 investisseurs représentant 7 800 milliards de dollars d’actifs (membres de l'IGCC et de Climate 100+, deux groupes d'investisseurs orientés sur le climat) a pris la parole au sein de l’AG pour appeler la compagnie à "traduire sa stratégie climat en objectifs de court et moyen termes, alignés sur l’Accord de Paris pour la période cruciale de 2020-2030" et ils ont ensuite voté à titre individuel se répartissant entre les pour, les contre et les abstentions sur la résolution déposée par l’ONG Follow This.
Les tenants de la résolution veulent d’abord retenir le vote positif des investisseurs les plus engagés au rang des quels on compte des sociétés de gestion françaises comme AXA IM, Aviva Investors, BNP Paribas Asset Management, Ecofi Investissements, Mirova, Amundi, l’Ircantec ou PRO BTP Finance. Pour Mark van Baal directeur de "Follow This", ils "ont envoyé un signal clair à Shell et à toutes les compagnies pétrolières et gazières pour qu'elles se fixent des objectifs et ne se contentent pas d’ambitions". Share Action, expert britannique de l’engagement actionnarial, se réjouit de son côté d’avoir obtenu le soutien de 3 600 investisseurs individuels à la résolution ciblant la compagnie anglo-hollandaise.
Baisse d'empreinte carbone vs trajectoire 2 degrés
Comme l’explique l’ONG Carbon Tracker qui a publié un rapport sur les scenarios proposés par les compagnies pétrolières en mai : "L’information financière liée au climat est désormais sous le microscope des investisseurs, mais l’image n’est pas encore nette", pointent les auteurs. "Les entreprises fournissent peu de quantification du risque financier auquel elles font face."
L’enjeu de la résolution portait sur la stratégie la plus adaptée face à ces risques. Follow this demandait des objectifs alignés sur la trajectoire de 2 degrés fixée par l’Accord de Paris pour éviter à Shell d’affronter de futures dépréciations massives (stranded assets). De son coté, la compagnie avait fait le choix d’une réduction ambitieuse de son empreinte carbone. Dès novembre 2017, elle a affirmé vouloir diminuer l’ensemble de ses émissions directes et indirectes (Scopes 1, 2 et 3) de 20 % d’ici 2035 et de 50 % d’ici 2050.
"Cette ambition est vraiment à la pointe des pratiques du secteur, personne d'autre ne s'en approche", a affirmé Ben Van Beurden, le PDG du groupe devant ses actionnaires. "Votre compagnie veut prendre le lead, alors laissez-nous faire, et suivez-nous", a-t-il ironisé auprès d’eux en référence au nom de l'ONG dont il contestait la démarche, "Follow This".
Prise de conscience
C’est ainsi que le bras de fer entre management et actionnaires a été remporté par les dirigeants du groupe Shell : "Ce vote illustre les limites de l’engagement actionnarial. Les investisseurs ne sont majoritairement pas prêts à s’opposer frontalement aux compagnies dont elles sont actionnaires même s’ils ont pris conscience des risques qui pèsent sur les modèles économiques des compagnies pétrolières", analyse Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic.
"Il faudrait pourtant que les signaux envoyés soient plus forts pour faire basculer le rapport de forces. C’est ce qu’avait fait espérer le vote de l’AG d’Exxon l’année dernière et le lancement de la Coalition 100 + en décembre 2017 mais il faut sans doute plus de temps pour faire évoluer la relation actionnaires entreprises" , ajoute-t-elle.
La Rédaction de Novethic