Publié le 03 janvier 2022

ÉNERGIE

Europe : le gaz et le nucléaire brouillent le message de la taxonomie, LE référentiel d’activités vertes

Les si chères énergies que sont le gaz et le nucléaire se sont in extremis invitées dans les projets verts européens de 2022. Le texte qui prévoit de les intégrer à la taxonomie, le référentiel des activités favorables aux objectifs environnementaux de l’Union, a été publié le 31 décembre. Il ouvre la possibilité de faire financer par des subventions européennes la relance du nucléaire voulue par Emmanuel Macron qui préside le Conseil de l’Europe depuis le 1er janvier. Pourtant cette onction environnementale pour deux énergies controversées peut compromettre l’ambitieux Pacte Vert européen.

Centrale nucleaire de Chooz EDF
La taxonomie manque de cohérence avec l'ambition du Green Deal européen.
@EDF

Donner une priorité au climat est-il forcément bon pour l’environnement ? Cette question fondamentale va être au menu des discussions entre les États Membres de l’Union Européenne pendant la Présidence Française qui a commencé le 1er janvier 2022. Pour Emmanuel Macron la décarbonation est l’objectif numéro un, ce qui justifie son cap résolument nucléaire affiché depuis l’automne. Il a obtenu une première victoire le 31 décembre, peu avant minuit, avec le projet d’Acte Délégué qui envisage d’inclure le nucléaire dans la taxonomie. Le texte fixe une limite dans le temps, pas après 2045, et les travaux de prolongation des centrales existantes doivent être autorisés avant 2040. Il demande également des garanties sur le traitement des déchets et le démantèlement des installations nucléaires en fin de vie.

Ces points sont d’autant plus indispensables que le nucléaire se heurte à un principe fondamental de la taxonomie : le DNSH (Do No Significant Harm). En français, cela signifie qu’une activité à bénéfice environnemental ne doit pas créer de dommages collatéraux. Si le nucléaire est une énergie décarbonée, la dangerosité des déchets radioactifs pour l’environnement est une réalité à laquelle l’Europe n’a pas forcément de solutions. Fin 2020, 60 000 tonnes de combustibles usés hautement radioactifs n’avaient toujours pas trouvé de proposition de stockage définitif. En l’état, le texte de l’Acte délégué qui devrait être adopté mi-janvier, exige aussi un plan de financement du stockage et du traitement des déchets nucléaires. Cela ne sera pas forcément simple à mettre en œuvre car le financement de ses ambitions reste le talon d’Achille du nucléaire français. La députée Les Nouveaux Démocrates, Emilie Cariou, parlait même, de mur budgétaire en octobre.

EDF, déjà très endettée, doit investir 100 milliards d’euros sur la période 2014-2030 pour son programme de grand carénage qui doit prolonger la durée de vie des centrales. Ses projets de nouveaux réacteurs EPR, pas encore tout à fait prêts, pourraient coûter entre 52 et 64 milliards d’euros. L’argent de l’Europe est donc indispensable pour que l’ambition nucléaire française devienne une réalité. La résistance des États membres qui ont renoncé au nucléaire pourrait malgré tout être un obstacle. La Belgique a annoncé qu’elle cesserait sa production dès 2025. D'autres pays résistent à l'atome comme l’Italie, la Grèce, l’Autriche, le Luxembourg, l’Espagne et bien sûr l’Allemagne où les Verts qui participent au nouveau gouvernement, protestent énergiquement. Pour la ministre allemande de l'Environnement, Steffi Lemke, "le projet de la Commission d'inclure le gaz et le nucléaire dans la taxonomie est une erreur". Pour elle, "la technologie nucléaire peut entraîner des catastrophes environnementales dévastatrices - en cas d'accidents graves - et (...) laisse derrière elle de grandes quantités de déchets hautement radioactifs et dangereux. Elle ne peut pas être durable".

Inclure une énergie fossile dans la taxonomie va l’affaiblir

L’inclusion du gaz, énergie fossile qui contribue à aggraver le changement climatique, est aussi une mauvaise nouvelle pour la taxonomie. Fruit de l’alliance objective de ces deux énergies controversées, elle met en péril la priorité climat de la taxonomie. Les pays qui ont poussé à cette intégration, la Pologne en tête, justifient leur démarche par le fait que le gaz est "moins pire" que le charbon. Ils ont du coup obtenu des dérogations sur les exigences techniques pour les futures centrales à gaz. Si elles remplacent des infrastructures existantes beaucoup plus polluantes, elles peuvent émettre 270 grammes de CO2 par kWh au lieu de 100 grammes !

En novembre dernier Philippe Zaouati, le directeur général de Mirova, société de gestion dédiée à la finance durable, s’inquiétait de voir le gaz "tuer" la taxonomie. Il rappelait à l’Essentiel de Novethic que "la taxonomie est un horizon qui indique la direction dans laquelle il faut aller. Elle identifie les activités qui sont très favorables au climat qui ne couvrent qu’entre 3 et 4 % de l’économie actuelle. Les investisseurs ne vont pas abandonner 96 % de l’économie !"

Force est de constater que la Commission avec son texte du 31 décembre n’indique pas un chemin vert clair, cohérent avec son ambitieux Green Deal. La France pro-nucléaire comme les pays de l’Est pro-gaz privilégient l’écriture de scenarios énergétiques nationaux sur les engagements environnementaux de l’Union que devaient initialement servir la taxonomie.  

Anne-Catherine Husson-Traore,  @AC_HT, Directrice générale de Novethic


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