C’est un comble pour une entreprise régulièrement récompensée pour ses engagements climatiques. Danone, entreprise à mission certifiée B-Corp est devenue depuis quelques jours le symbole de la méfiance des consommateurs envers les engagements climatiques des entreprises. Depuis le 10 janvier dernier, le groupe agroalimentaire doit faire face à une action en justice concernant son allégation de neutralité carbone sur les bouteilles d’eau de la marque Evian, propriété de Danone. Les plaignants sont des consommateurs américains qui ont formé une action de groupe, une “class action”.
Selon l’agence de presse Reuters, les consommateurs affirment qu’ils n’auraient pas acheté de bouteilles d’Evian s’ils avaient su que le processus de fabrication de Danone permettait le rejet de CO2 dans l’atmosphère ou entraînait d’autres formes de pollution. Depuis 2020, Evian est en effet certifiée neutre en carbone, c’est d’ailleurs la première marque du groupe à l’avoir été, et ce par le cabinet Carbon Trust. Mais le mécanisme permettant cette atteinte de la “neutralité carbone” repose sur de la compensation carbone. Concrètement, Danone achète des crédits carbone via la plantation d’arbres ou la production d’énergies renouvelables par exemple, pour compenser les émissions qu’il émet.
Confusion pour les consommateurs
“Je pense que cette plainte est le signe d’une certaine désillusion des consommateurs à l’égard de ce que font les entreprises”, analyse pour Novethic Nusa Urbancic, PDG de la fondation Changing Markets. “Les gens se rendent compte que tout cet argent supplémentaire qu’ils dépensent pour des produits dits verts n’a pas vraiment l’impact qu’on leur avait promis”. Contacté par Novethic, Danone dit ne pas pouvoir “commenter un litige en cours”. La marque Evian restant “toutefois déterminée à se défendre”. Le juge a en tout cas conclu qu’avec le terme “neutre en carbone”, les consommateurs pouvaient être “raisonnablement confus”.
“On est dans une ère nouvelle, l’ère de la preuve. Il n’y a que la preuve qui est transformative, on a passé l’ère de la RSE (responsabilité sociale des entreprises, NDR) des beaux discours”, tranche Sabine Maréchal, experte en transformation et fondatrice de l’institut de recherche, conseil et formation Les Humains. Et de fait, Evian n’est pas la seule à être poursuivie pour des allégations de neutralité carbone. En juillet dernier, l’Institut Grantham avait estimé à plus de 80 le nombre de recours en justice contre des entreprises accusées de promesses trompeuses ou de ne pas mettre en œuvre les efforts promis en matière de climat.
Pression législative et réputationnelle
La pression est telle que plusieurs groupes ont décidé de faire marche arrière.
EasyJet, Gucci, Nestlé…, les entreprises préfèrent désormais se détourner des allégations de neutralité et de la compensation carbone. Si aux Etats-Unis, les plaintes sont portées via des class action, en Europe, le cadre réglementaire évolue, accentuant encore plus la pression. Ainsi, d’ici 2026, les entreprises ne pourront plus utiliser des allégations de neutralité carbone à moins qu’elles ne puissent prouver que ces allégations sont exactes. La version finale de la directive a été approuvée ce mercredi 17 janvier. C’est la réglementation anti-greenwashing la plus ambitieuse au monde. “Nous mettons fin au chaos des revendications environnementales”, s’enorgueillit ainsi le député socialiste Biljana Borzan lors de l’adoption de la directive.
Les entreprises sont-elles condamnées à se taire même si elles portent une forte ambition environnementale ? “Non, il faut arrêter de communiquer de manière trop large, communiquer de façon plus précise et chiffré. C’est ce qui est attendu et crédible, cela permettra de réduire la distance entre les consommateurs et les marques”, préconise Sabine Maréchal. “Elles devraient avoir un objectif climatique complet, aligné sur une augmentation de la température limitée à 1,5°C, des plans concrets et des rapports sur la manière dont ils les atteindront”, complète Nusa Urbancic.
Avant même l’entrée en vigueur le 1er janvier 2023 de la
loi française interdisant aux annonceurs de vanter un produit ou un service comme neutre en carbone sans preuves à l’appui, l’Agence de la transition écologique (Ademe) avait publié un guide pratique visant à s’engager dans une démarche de communication responsable. Premier conseil : proscrire la formulation “100 % neutre en carbone”.
Marina Fabre Soundron