Du déni au scepticisme climatique. Plutôt que de prôner un rejet catégorique de la réalité du changement climatique, semer le doute sur la nature du changement climatique, sur ses causes humaines et sur l’efficacité des solutions semble prendre progressivement le pas dans l’opinion publique. C’est l’une des principales conclusions du premier rapport du Panel international sur l’information et l’environnement (Ipie), publié le 19 juin. Il réunit un groupe international d’experts ayant passé au crible 300 études au cours des dix dernières années, de 2015 à 2025.
“L’intégrité des informations climatiques est systématiquement menacée, et ce n’est pas un accident”, déclare Sebastian Valenzuela, président du Comité scientifique et méthodologique de l’Ipie . “Lorsque des institutions de confiance – entreprises, politiques et médias – deviennent les moteurs de la propagande mensongère, elles affaiblissent notre capacité à agir dans l’intérêt public”, ajoute-t-il.
Les entreprises fossiles à la manœuvre
Les chercheurs ont analysé la provenance de cette désinformation climatique. Elle émane en grande partie des entreprises des combustibles fossiles. Celles-ci ont d’une part employé diverses techniques pour nier la réalité du changement climatique, occulter leur propre responsabilité et entraver ou retarder les mesures d’atténuation. D’autre part, ces mêmes entreprises ont eu recours au greenwashing pour se présenter comme des entreprises respectueuses de l’environnement.
Le rapport cite par exemple le cas de la major française TotalEnergies qui a continué “de semer le doute sur les faits liés au changement climatique jusqu’à la fin des années 1980 en dissimulant les preuves scientifiques”, bien qu’elle ait eu “connaissance des effets néfastes de ses produits sur l’environnement dès 1971“. De même, en matière de greenwashing, TotalEnergies fait l’objet de poursuites judiciaires pour publicité commerciale trompeuse, en se présentant comme “un acteur majeur de la transition énergétique”, engagé pour la “neutralité carbone” et la lutte contre le réchauffement climatique.
Plus globalement, le rapport pointe une étude de 2022 basée sur 725 rapports de développement durable d’entreprises qui conclut que la majorité des entreprises pratiquent l’écoblanchiment en déployant des discours symboliques plutôt qu’en documentant des mesures concrètes d’atténuation. Sur les réseaux sociaux aussi, les entreprises fossiles pratiquent la désinformation climatique. Une étude des comptes X (ex-Twitter) de quatre entreprises du secteur des combustibles fossiles – Shell, ExxonMobil, BP et TotalEnergies – a montré que ces derniers sont activement utilisés pour diffuser des messages visant à retarder la prise de mesures conséquentes face au changement climatique.
Médias conservateurs, bots et trolls
Mais elles ne sont pas les seules. A l’instar des intérêts commerciaux, les personnalités et organisations politiques sont également actives sur les réseaux sociaux. Le président américain Donald Trump en est un exemple récent, lui qui a qualifié la science climatique de “canular géant” et de “foutaises“. Des partis politiques comme l’AfD en Allemagne, Vox en Espagne et le RN en France complètent leurs manifestes et leurs discours politiques par le biais de leurs comptes officiels sur les réseaux sociaux, “diffusant des informations trompeuses et contribuant à retarder et à entraver l’action climatique”.
Des discours repris par les médias de masse, en particulier de droite et conservateurs. En France, un consortium d’ONG spécialisées a ainsi recensé 128 cas de désinformation climatique dans les médias audiovisuels et radiophoniques français au cours du premier trimestre 2025. Sud Radio et CNews représentaient à eux seuls la moitié des cas de désinformation identifiés. En juillet 2024, CNews avait en outre écopé d’une sanction financière de 20 000 euros pour ne pas avoir contredit des propos climatosceptiques tenus en plateau. Une première.
Les robots et les trolls amplifient également les mensonges à grande échelle : une étude, citée dans le rapport, a conclu que près de 25% des tweets concernant l’annonce par Donald Trump du retrait américain de l’Accord de Paris de 2015 provenaient de comptes de robots, et que les comptes de robots suspectés avaient tendance à promouvoir et amplifier les discours négationnistes concernant le changement climatique.
Préalable à l’action
Les auteurs notent aussi que si globalement, tout le monde est la cible d’informations trompeuses sur le changement climatique, certaines personnes sont stratégiquement ciblées à l’instar des élus, fonctionnaires et autres décideurs, ayant pour effet de retarder l’action climatique. Au sein de la population, la désinformation climatique mine la confiance du public dans la science du climat et freine là aussi le passage à l’action. “Cette crise d’intégrité de l’information intensifie et aggrave la crise climatique”, conclut le rapport.
“Si nous voulons une action climatique significative, nous devons d’abord nous attaquer aux mécanismes qui sèment la confusion”, a réagi le Dr Frederik Ogenga, membre du groupe, de l’Université de Rongo. Un premier pas en ce sens vient d’être franchi avec le lancement par le Brésil, hôte de la COP30, de l’Initiative mondiale sur l’intégrité de l’information sur le changement climatique, qui sera au cœur des négociations du sommet climatique. Le Royaume-Uni, la France, le Chili, ou encore le Maroc ont déjà adhéré à cette initiative.
La semaine dernière, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour le climat et les droits humains, Elisa Morgera, est allé un cran plus loin. Elle a appelé à criminaliser la désinformation environnementale et le greenwashing, y compris pour les agences de publicité qui les diffusent.