C’est une initiative inédite. Dans une tribune publiée par le média Contexte, Auchan, Carrefour, Casino, le groupe Mousquetaires et la Coopérative U appellent le gouvernement à rehausser l’ambition de la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (Snanc). Publiée en avril dernier avec deux ans de retard, cette dernière a pour but de “déterminer les orientations de la politique de l’alimentation durable”, “respectueuse de la santé humaine” et “garante de la souveraineté alimentaire”.
Reconnaissant le “rôle central” qu’elles ont à jouer face à ces enjeux, les cinq enseignes estiment néanmoins rencontrer plusieurs obstacles sur le chemin d’une transition alimentaire et écologique rapide. “Concilier rentabilité et durabilité est difficile et risqué, argumentent-elles. Nos efforts pour proposer davantage de produits durables, faire la promotion de produits sains, ou bannir certains produits nocifs sont rarement payants”. Les entreprises demandent ainsi au gouvernement de définir “un cap et un cadre clairs pour mobiliser l’ensemble des acteurs dans cette direction” au travers de trois mesures.
Plus de promotion pour les produits sains
La première concerne la mise en place d’un affichage environnemental permettant de comparer l’impact des produits, d’une même catégorie ou non, sur la planète. Ce système de notation, prévu par la loi Climat et résilience de 2021, se fait toujours attendre, faisant planer le doute sur sa portée et son efficacité. “Il importe que cet affichage soit harmonisé et repose sur une méthodologie fiable et transparente et sur un format de restitution simple à comprendre pour les consommateurs et facile à mettre en œuvre pour les entreprises”, précisent les distributeurs.
Autre enjeu, la consommation de produits carnés. Les signataires souhaiteraient en effet le déploiement d’une campagne de sensibilisation, mettant en valeur “les bienfaits pour la santé et la planète” d’une consommation de viande réduite, compensée par des protéines végétales. Pour le reste, ils appuient le besoin de valoriser “la viande de qualité produite en France”. En outre, ils réclament une restriction de la publicité de “produits de mauvaise qualité nutritionnelle” à destination des enfants et se disent prêts à davantage mettre en avant, notamment au travers de promotions, “les produits les plus favorables à la santé et à l’environnement”. Mais seulement si ces “efforts” sont partagés par l’ensemble des enseignes via des “règles du jeu communes”.
La société civile va plus loin
Ironie de la situation, il y a quelques semaines, ces mêmes acteurs de la grande distribution étaient justement pointés du doigt pour leurs opérations de pub. Deux tiers des produits présentés dans les catalogues promotionnels des cinq principales chaînes de supermarchés, dont Carrefour, Coopérative U et Intermarché, vont en effet à l’encontre des préconisations du Programme national nutrition santé, selon une étude dévoilée le 21 mai dernier par sept associations. De plus, 95% de ces aliments ne sont pas issus de l’agriculture biologique et ne répondent pas aux critères d’une alimentation durable, alertent les ONG.
Et ce n’est pas le seul volet sur lequel les distributeurs doivent fournir des efforts. Dans un rapport rendu publique début mai, le Réseau Action Climat (RAC) a évalué la contribution des supermarchés français au déploiement de la transition alimentaire. S’il reconnait de manière générale quelques progrès concernant la transparence et les engagements des enseignes, elle observe un fort “décalage avec [les] pratiques réelles qui ne prennent pas encore ou très peu en considération les enjeux écologiques et de santé publique”. Loin du trio de tête occupé par Carrefour, Monoprix et la Coopérative U, E.Leclerc et Aldi étaient alors désignés comme les mauvais élèves du secteur. On notera d’ailleurs que les deux entreprises sont absentes des signataires de la tribune.
En parallèle, 87 organisations de la société civile ont aussi publié une lettre ouverte adressée à François Bayrou et aux ministres de l’Agriculture, de la Santé et de la Transition écologique pour relever l’ambition de la Snanc. Allant un cran plus loin, elles demandent notamment la mise en place d’une trajectoire chiffrée de réduction de la consommation de viande, l’affichage obligatoire du Nutri-score, l’encadrement des marges des distributeurs et des industriels sur les produits sains et durables ou encore l’instauration d’objectifs d’approvisionnement en produits biologiques pour la grande distribution. “La responsabilisation du consommateur ne permettra pas d’inverser la tendance, insistent les signataires. Pour améliorer l’accès à une alimentation saine, durable et choisie (…), les pouvoirs publics doivent agir sur l’amont et l’aval de la chaîne alimentaire”.