Vers une réduction de la fréquence de distribution du courrier ? C’est ce que préconise la Cour des comptes. Dans un rapport rendu le 17 février dernier, l’institution analyse sévèrement la trajectoire financière de La Poste, “pour les exercices 2019 à 2023”. Avec un résultat net de 514 millions d’euros en 2023, contre plus d’un milliard en 2022, le groupe présenterait selon les magistrats une “dégradation” de sa situation financière provoquée par une “baisse des métiers historiques” et une “rentabilité insuffisante des activités de diversification”.
Livraison de colis et de plateaux-repas, veille auprès de personnes âgées, mais aussi activités bancaires, de téléphonie ou encore d‘assurance… La Poste mène depuis plusieurs années une véritable transformation en interne pour compenser la baisse de l’envoi de courriers. Entre 2019 et 2023, le nombre de lettres a en effet diminué de plus de plus de 62%, creusant les recettes de l’entreprise. Mais selon la Cour des comptes, la rentabilité n’est toujours pas au rendez-vous. Pour assurer “la soutenabilité financière” du groupe, elle recommande plusieurs “mesures de remédiations”.
“On n’a plus les moyens de traiter le courrier”
Les magistrats remettent notamment en question le rythme de distribution du courrier six jours sur sept, ainsi que le maintien des 17 000 points de contacts, dont certains pourraient être basculés vers des maisons France Services, estiment-ils. Des conclusions qui suscitent l’inquiétude générale des partenaires sociaux. Tandis que la CGT FAPT pointe les conséquences d’une “privatisation” et d’une “financiarisation à marche forcée” conduisant à une “détérioration des services publics”, Force Ouvrière Com s’alarme face aux préconisations de la Cour. “Si [elles] se concrétisaient, les risques seraient lourds en ce qui concerne l’emploi”, écrit le syndicat dans un communiqué.
“Chaque fermeture de bureau de Poste implique plus de déplacements pour les postiers, comme pour les usagers”, confirme à Novethic Marie Vairon, secrétaire générale de Sud PTT. De plus, “la fin du six jours sur sept pour faire des ‘économies’ passe nécessairement par des suppressions d’emplois, de nouvelles organisations de travail toujours plus pathogènes”, alerte-t-elle. Cela fait maintenant plusieurs mois que les salariés du groupe La Poste dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail, qui impacte d’ores et déjà leur mission de service public auprès des usagers.
Mi-janvier, une enquête de RMC dévoilait d’importants retards de distribution dans plus d’une dizaine de départements français. “Au moins 1,2 million de lettres” étaient concernées. “À partir du moment où on ferme des plateformes de tris, à partir du moment où La Poste a décidé de se séparer de beaucoup d’emplois… eh bien ce qui était prévisible, c’est qu’on n’a plus les moyens de traiter le courrier et le distribuer”, expliquait alors Arnaud Bordier, représentant Sud PTT en Ille-et-Vilaine, interrogé par La Dépêche. Résultat, depuis la fin de l’année 2024, les grèves s’enchaînent parmi les postiers.
29% d’emplois en moins
En Gironde, dans le Puy-de-Dôme, en Normandie, en Haute-Savoie, dans la Loire et le Finistère… Les motifs de ces débrayages sont toujours les mêmes : un manque de moyens et d’effectifs, la suppression de tournées ou encore une modification des modes de distribution du courrier, le tout entraînant à chaque fois une “surcharge” et des “conditions de travail invivables”. A cela s’ajoute une précarisation des métiers. Bénéficiant historiquement du statut de fonctionnaire, les salariés voient aujourd’hui une partie de leurs missions confiées à des sous-traitants. “Intérim, CDD, CDI intérimaires… Dans certains bureaux, le taux de travailleurs précaires peut frôler les 40%”, calcule Marie Vairon. L’appel à ces contrats s’effectuerait pourtant “de manière raisonnée” et “selon les nécessités (remplacements ou renforts)”, répond La Poste à Novethic.
La question des effectifs est en tout cas au cœur des tensions. Car si le nombre de lettres à acheminer baisse d’année en année, le nombre de salariés suivrait la même direction. Fin 2024, l’entreprise comptait 159 359 postiers selon les chiffres communiqués par Sud PTT. Bien que La Poste affirme avoir recruté l’année dernière plus de 5 400 personnes en CDI et n’avoir procédé à aucun plan de licenciement dans le cadre de sa transformation, cela représenterait 64 000 emplois de moins qu’en 2015. Soit une baisse de près de 29% en neuf ans.
“Logique productiviste”
En cause, notamment, les réorganisations menées au sein des services tous les 24 mois, en “co-construction” avec les postiers et les représentants du personnel, afin, selon l’entreprise “de faire face aux évolutions tendancielles de [ses] activités”. “A chaque fois, elles sont accompagnées de suppressions d’emplois, avec un report de la charge de travail sur les collègues qui restent”, observe cependant Marie Vairon. Des changements fréquents qui peuvent entraîner des inquiétudes pouvant aller jusqu’à un profond mal-être pour certains salariés.
La Poste est d’ailleurs sous le coup d’une enquête ouverte par le parquet de Lyon selon les informations de Médiapart, suite à deux suicides et une tentative de suicide au sein de la plateforme de distribution de Corbas, en 2017 et 2018. D’après un rapport délivré par le cabinet Secafi, les faits auraient eu lieu alors que la structure avait enchaîné deux réorganisations en deux ans, ayant eu des “conséquences directes sur les conditions de travail et de santé” des trois salariés concernés.
Une situation qui n’étonne pas Marie Vairon, salariée au sein de La Poste depuis 19 ans. “On n’a jamais eu autant de départs que ces dernières années et on craint que les situations de souffrance, voire les suicides, se multiplient, souligne-t-elle. On est aujourd’hui dans une logique uniquement productiviste”.