En Allemagne, la “folie” climatique d’un projet d’autoroute géante

“Highway to hell”, “monstruosité”, “mégalomanie anachronique” : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire le projet d’extension de l’autoroute A5, près de Francfort, dans le centre de l’Allemagne. L’entreprise publique qui gère les autoroutes allemandes, Autobahn GmbH, a ainsi dévoilé il y a quelques semaines une étude de faisabilité pour une extension à 10 voies, ce qui en ferait la plus grande autoroute d’Allemagne et l’une des plus grandes d’Europe.

L’autoroute A5 est une portion autoroutière régulièrement engorgée par le trafic routier francfortois et l’idée d’un projet d’extension était en gestation depuis plusieurs années. Sur place, les riverains craignent notamment que les travaux d’extension mènent à des expropriations et la destruction de certains quartiers d’habitation, en bordure de l’actuelle autoroute. Une forêt, une zone de captage d’eau potable, ainsi qu’une partie d’une réserve ornithologique seraient également menacées par les travaux, qui devraient coûter plus d’1.1 milliard d’euros d’après les estimations de l’étude de faisabilité.

Expansion des autoroutes, accélération de la crise climatique

Mais c’est surtout l’impact climatique de cette nouvelle autoroute qui inquiète militants et experts environnementaux. Pour Michael Rothkegel, directeur de l’association environnementale allemande Bund, “l’expansion accélérée des autoroutes” va en effet de pair avec “l’accélération du changement climatique”. Augmenter la taille du réseau routier pour faciliter et fluidifier le trafic devrait en effet créer un appel d’air pour plus de véhicules, et donc contribuer à augmenter encore le trafic routier et les émissions de CO2.

C’est ce qu’explique notamment Andreas Knie, chercheur spécialisé sur les transports, critique du projet : “la circulation automobile est en voie d’atteindre sa limite supérieure et le nombre de kilomètres parcourus devrait diminuer”. Cela suppose toutefois que des politiques de mobilité adaptées soient menées, notamment pour favoriser les transports en commun ou les mobilités actives et rendre moins attractif l’usage de la voiture individuelle. Mais ce n’est visiblement pas l’intention du ministre des transports allemand, Volker Wissing, qui a lancé un grand programme de développement du réseau routier, avec la construction de 850 kilomètres de nouvelles autoroutes et de 2 000 km de routes fédérales. S’il ne s’est pas encore officiellement prononcé sur le projet de l’A5, le ministre issu de la droite néolibérale du FDP (Freie Demokratische Partei), historiquement défavorable aux politiques visant à limiter la place de la voiture, pourrait bien soutenir l’extension.

Un symbole des écueils des politiques climatiques en Allemagne

“Une folie” pour Omid Nouripour, chef de file de l’alliance des Grünen, le parti écologiste allemand, qui voit dans ce projet un véritable symbole des écueils des politiques climatiques allemandes, qui ont bien du mal à s’attaquer à l’épineux problème de la voiture individuelle dans un pays où l’automobile est à la fois un totem et un secteur industriel majeur. Si les oppositions locales, dont le conseil municipal de Francfort et son maire issu du SPD (Parti social démocrate), décrivent l’extension comme un “projet complètement dépassé en termes de politique des transports et du climat”, Autobahn GmbH et ses soutiens y voient au contraire la seule manière de décongestionner le trafic routier et d’assurer la pérennité économique du secteur.

Dans ce contexte, le projet d’extension de l’A5 a tout pour devenir une sorte d’A69 allemande, et cristalliser les controverses. Alors que, en Allemagne peut-être encore plus qu’en France, le débat sur la transformation écologique et la transition énergétique est plus crispé que jamais, l’autoroute A5 pourrait bien devenir l’un des grands symboles de cette discorde.