Publié le 3 juillet 2024

A l’heure où les entreprises se mobilisent pour produire leurs rapports de durabilité, la question demeure de savoir quel sera le potentiel transformatif de la CSRD, la directive européenne sur le reporting extra-financier. Simple reporting ou levier de changements profonds dans les entreprises ? La question divise encore les professionnels et experts du secteur.

Plus que quelques mois avant la publication des premiers rapports de durabilité des grandes entreprises, qui devront être publiés à partir de janvier 2025 dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive, ou directive européenne sur le reporting extra-financier). La directive, entrée en vigueur en début d’année, mobilise en effet en ce moment de très nombreuses entreprises, qui collectent et mettent en forme les données relatives à leurs impacts sociaux et environnementaux.

Et déjà, avant même que les premiers rapports de durabilité ne soient publiés, la plupart des professionnels du secteur voient cette réglementation comme un levier majeur de changement au service de la transformation durable. Selon une enquête publiée fin juin par le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), 70% des professionnels de la transition écologique et sociale dans les entreprises estiment en effet que la CSRD va être un accélérateur de la transformation durable de leur entreprise, et faire avancer la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) dans le bon sens.

“Financiariser l’extra-financier”

En permettant aux entreprises de disposer de données sociales et environnementales plus précises en double matérialité, c’est-à-dire à la fois sur en termes de risques et d’impacts, la CSRD devrait en effet créer les conditions d’un pilotage plus fin de leur transformation durable. Dans un contexte global bouleversé par les crises sociales et écologiques, la CSRD, via “l’analyse de matérialité, pose à l’entreprise des questions critiques sur son modèle d’affaires, sa chaîne de valeur, ses impacts, risques et opportunités” explique à Novethic Pauline Roulleau, experte CSRD. La consultante témoigne de ces Comex et Codir qui, grâce à la CSRD, prennent conscience des risques pesant sur leurs activités, par exemple, à cause de leur présence dans des zones à fort risque hydrique. Le reporting sert alors de feuille de route pour réorienter leurs activités.

D’autre part, la CSRD exige également des entreprises concernées qu’elles publient leurs indicateurs de progrès social et environnemental. Par exemple, sur la question du pouvoir d’achat, “la CSRD demande aux entreprises de considérer un salaire décent, au-delà du salaire minimum”, explique Pauline Roulleau. A terme, cela devrait inciter les entreprises assujetties à la CSRD à se doter d’une politique salariale plus juste. Michelin a par exemple fixé le salaire décent à 39 638€ à Paris soit 1,9 fois le smic”, ajoute Pauline Roulleau. Selon Sébastien Mandron, administrateur du C3D, “la CSRD demande aussi aux entreprises de rendre publics les investissements qu’ils comptent mettre sur la table pour devenir durables sur le long terme”.

Cette “financiarisation de l’extra-financier” devrait en principe inciter les entreprises à modéliser et donc organiser leurs stratégies d’impact. La publication de ces plans d’investissement permettra ainsi aux investisseurs et aux parties prenantes de distinguer les entreprises les plus vertueuses des autres, et ainsi d’orienter les flux de capitaux vers celles qui contribuent à la transition écologique et sociale.

Renforcer la CSRD ?

Pour autant, la CSRD va-t-elle tout changer ? “La CSRD est une très bonne réglementation, mais on serait naïfs de penser qu’elle transformera tout et qu’elle sera le levier tant attendu de la transformation durable des entreprises“, analyse Bastien David, chercheur et Maître de conférences à la Toulouse School of Management. “Vous pouvez très bien faire un très bon reporting CSRD, sans pour autant faire bouger vraiment votre modèle vers la durabilité”, explique de son côté Patrick d’Humières, spécialiste du management de la RSE, qui fustige “l’absence de sanctions ou d’incitations financières fortes” dans la réglementation européenne sur le reporting. Peu contraignante, la CSRD instaure en effet avant tout une obligation de transparence, sans contraindre les entreprises à transformer profondément leurs stratégies d’affaires, leurs modèles de production ou leurs modes de partage de la valeur.

Pour Bastien David, “il faudrait peut-être aller plus loin, en rendant par exemple obligatoire le fait de s’engager sur des trajectoires alignées avec les objectifs scientifiques”. Le chercheur propose également d’“auditer les objectifs et les trajectoires”, afin de s’assurer que les entreprises définissent des plans d’actions compatibles avec les objectifs de durabilité. Pour Patrick d’Humières, “il faudra passer au niveau supérieur tôt ou tard, par exemple en proposant une fiscalité différenciée pour les entreprises engagées dans la transformation écologique et sociale”. En “touchant au portefeuille”, il serait alors possible d’accélérer la transformation durable des entreprises.

Et pourquoi pas, à terme, des sanctions ? C’est ce que prévoit la future directive européenne sur le devoir de vigilance, avec des amendes pouvant s’élever jusqu’à 5% du chiffre d’affaires en cas de non conformité des plans de vigilance. Mais dans le contexte politique actuel, marqué par la montée en France et en Europe d’une extrême-droite opposée à la transition écologique, rehausser l’ambition des réglementations sociales et environnementales ne sera probablement pas à l’agenda…

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