Publié le 17 juin 2024

Y aura-t-il trop de pétrole d’ici 6 ans ? La demande pourrait atteindre un pic d’ici 2030 selon l’Agence internationale de l’énergie. Un ralentissement qui s’oppose à la stratégie d’expansion des majors pétrolières.

La croissance de la demande mondiale de pétrole devrait atteindre son apogée en 2030. Ce sont les nouvelles prévisions de l’Agence internationale de l’Energie (AIE), publiées le 12 juin dernier. Selon son directeur, Fatih Birol, “à mesure que la reprise de la pandémie s’essouffle, que les transitions vers les énergies propres progressent et que la structure de l’économie chinoise évolue, la croissance de la demande mondiale de pétrole ralentit”, jusqu’à atteindre un pic avant la fin de la décennie.

L’AIE alerte ainsi sur un excédent d’offre de pétrole “majeur” à cet horizon. Selon les prévisions de l’agence, les capacités de production devraient augmenter de 6 millions de barils par jour d’ici à 2030 dans le monde, pour atteindre 114 millions de barils quotidiens, alors que la demande se situerait à 106 millions de barils jour, soit un surplus de près de 8 millions. “Ce qui suggère que les compagnies pétrolières voudront peut-être s’assurer que leurs stratégies et plans commerciaux sont préparés aux changements en cours,” poursuit Fatih Birol.

Risque d’actifs échoués

L’augmentation de la demande devrait être tirée par les économies émergentes d’Asie, notamment une consommation accrue de pétrole pour les transports en Inde et par une utilisation accrue de biocarburants et produits pétrochimiques en plein essor en Chine. En revanche, dans les économies avancées, la demande devrait poursuivre son déclin, déjà entamée depuis plusieurs décennies, passant de près de 46 millions de barils par jour en 2023 à moins de 43 millions de barils par jour en 2030.

“Un tel excédent de capacités de production pourrait ouvrir la voie à un environnement de prix du pétrole plus bas, soulevant des défis difficiles” notamment pour l’industrie américaine du schiste et le bloc OPEP+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole), dirigé par l’Arabie saoudite et la Russie, pointe le rapport. “Les entreprises pétro-gazières continuent leur plan d’expansion dans les énergies fossiles, en développant de nouvelles infrastructures qui risquent de devenir rapidement des actifs échoués, provoquant une surcapacité de l’offre par rapport à la demande mondiale”, commente pour Novethic Louis-Maxence Delaporte, analyste énergie chez Reclaim Finance.

Les prévisions de l’AIE viennent dès lors heurter cette stratégie d’expansion des entreprises pétrolières dont la justification se trouve justement dans la croissance de la demande. En France, TotalEnergies, n’a ainsi de cesse d’expliquer qu’il ne fait “que” répondre à la demande. Il est “nécessaire de mettre en production de nouveaux champs d’hydrocarbures afin de lutter contre le déclin naturel des champs existants et répondre à la demande mondiale”, a ainsi répété son PDG, Patrick Pouyanné, devant la commission d’enquête sénatoriale sur Total.

Comment Total anticipe cette baisse

Contacté après la publication de l’AIE, le groupe détaille sa stratégie à Novethic. “Entre 2018 et 2030, notre production de pétrole restera globalement stable. Nous cherchons avant tout à compenser le déclin naturel des champs pétroliers, qui perdent environ 4% de leur production chaque année. C’est ce maintien à un niveau stable de notre production d’ici à 2030 qui justifie nos nouveaux projets pétroliers”, nous explique-t-on. La major met également en garde sur les prévisions de l’AIE, qui aurait adopté “une vision optimiste de la pénétration des véhicules électriques aux Etats-Unis loin d’être consensuelle”.

Quoiqu’il en soit, face à la baisse de la demande et des prix du pétrole, TotalEnergies assure avoir anticipé et recentré depuis dix ans son portefeuille sur des projets à bas coûts. “Nous sommes passés d’un point mort de 90 dollars le baril en 2014 à moins de 25 dollars en 2024 (le point mort est niveau de prix du baril de brent au-dessus duquel le pétrolier gagne de l’argent, ndr). Cela nous permet de rester compétitifs même dans un contexte de baisse de la demande et donc de la baisse des prix à moyen et long terme”, explique TotalEnergies. Le groupe indique ainsi avoir cédé ses actifs de sables bitumineux au Canada et ses parts dans la compagnie pétrolière Petrocedeño au Venezuela, opérations jugées trop coûteuses dans un contexte de baisse de la demande à long terme.

De son côté, l’Arabie saoudite a demandé, en début d’année, à sa compagnie nationale Aramco de maintenir sa capacité de production de pétrole à 12 millions de barils par jour, renonçant à un projet d’augmentation à 13 millions annoncé en 2021. “Cela pourrait refléter une reconnaissance de la croissance rapide de l’excédent de la capacité mondiale de production de pétrole brut”, note l’AIE dans son rapport. Plus largement, au sein de l’Opep+, les prévisions à moyen terme sont pour les prochaines années beaucoup plus élevées que celles de l’AIE. Toutefois, selon l’AIE, ce sont principalement les pays non-membres de l’Opep+, Etats-Unis en tête, qui soutiendront les nouvelles capacités de production.

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