Publié le 12 juin 2024

Malgré des travaux de modernisation, le Train des primeurs entre Perpignan et Rungis pourrait connaître ses dernières heures. Menacé par la liquidation de Fret SNCF et concurrencé par le réseau routier, la liaison est emblématique des difficultés que rencontre le secteur du transport ferroviaire de marchandises en France.

L’avenir du “Train des primeurs” est de nouveau menacé. L’emblématique ligne ferroviaire qui permet de transporter cinq fois par semaine des fruits et légumes entre Perpignan et le marché de Rungis, dans la région parisienne, fera prochainement l’objet d’importants travaux de modernisation. Un chantier nécessitant une suspension de la liaison durant une année complète. Si le projet, à l’issue duquel un nouveau terminal multimodal verra le jour, devrait permettre aux trains de fret de gagner en attractivité, ces derniers pourraient cependant rester à quai.

“Nous n’avons aucune garantie, aucune certitude sur le redémarrage de ce train”, s’inquiète auprès de France 3 Régions Céline Malaisé, conseillère régionale d’Ile-de-France. Actuellement assuré par Fret SNCF, le service devra en effet avoir été récupéré par un nouvel opérateur pour pouvoir reprendre à la fin des travaux. “Tout ça s’inscrit dans un contexte de dissolution du fret ferroviaire. Car aujourd’hui, il y a des impératifs qui sont dictés par l’Union européenne. A terme, en France, 23 flux de transports combinés (train + camion) ne seront plus attribués à Fret SNCF”, rappelle l’élue.

Plusieurs liaisons menacées d’abandon

A la suite d’une enquête menée par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, l’entreprise est accusée d’avoir illégalement reçu des aides d’Etat entre 2007 et 2019, à hauteur de 5,3 milliards d’euros. Afin d’éviter une obligation de remboursement, qui aurait entraîné la faillite de Fret SNCF, le gouvernement a établi un plan de “discontinuité”. Celui-ci consiste à liquider la société pour la remplacer début 2025 par deux nouvelles entités. Au passage, Fret SNCF se voit contrainte de céder 30% de son activité à ses concurrents.

Passage inévitable pour certains, scandale environnemental et social pour d’autres… Si la décision du gouvernement ne fait pas consensus, experts, élus et syndicats se rejoignent sur un point : sans aides financières de l’Etat, une partie des liaisons pourraient ne pas trouver de repreneurs. C’est notamment le cas du Train des primeurs, véritable symbole des difficultés rencontrées par le marché du fret français. Offre moins flexible, réseau plus réduit, priorité donnée aux trains voyageurs, trajets retour à vide… “Aujourd’hui, le transport par fret a du mal à trouver sa rentabilité économique. Il fonctionne surtout pour des produits non périssables, comme le blé ou les gravats, plus simples à acheminer”, nous explique Patricia Perennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire.

Le transport routier favorisé

“Dans ces conditions, va-t-on trouver une entreprise privée qui accepte de reprendre le contrat Perpignan-Rungis ? Probablement non”, concède l’experte. A l’automne dernier, un premier appel à manifestation d’intérêt avait d’ailleurs échoué à identifier un repreneur. Parallèlement, l’instabilité traversée par Fret SNCF est également pointée du doigt. “La liquidation de l’entreprise en deux entités a des conséquences importantes, elle déstabilise le secteur, regrette auprès de Novethic Julien Troccaz, secrétaire fédéral de Sud-Rail, qui appelle à un moratoire sur le sujet. Face à une énième restructuration, les clients perdent confiance et finissent par se reporter sur le transport routier.” Ce dernier point cristallise d’ailleurs les critiques.

Si le gouvernement affirmait en 2021 sa volonté de doubler la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030, acteurs et observateurs du marché dénoncent un décalage entre l’objectif affiché et les politiques mises en place. D’un côté, “le fret ferroviaire est absent des politiques industrielles, de transports ou d’aménagement du territoire”, affirme Julien Troccaz. “Rien n’oblige par exemple les grands centres logistiques à être raccordés au rail”, note le cheminot. En outre, le rail souffre d’investissements inférieurs à ceux consacrés au développement des infrastructures routières. Selon Greenpeace, ces trente dernières années, les pays européens auraient ainsi dépensé 66% de plus dans la route que dans le train.

La part du fret ferroviaire s’écroule

D’autre part, doubler la part du ferroviaire sous-entend baisser celle du transport routier. “Pourtant, l’objectif n’est jamais présenté sous cette forme, et les politiques ne sont pas orientées en ce sens”, écrit Aurélien Bigo, chercheur associé au sein de la chaire Energie et prospérité à l’institut Louis Bachelier, dans une chronique publiée par la revue Polytechnique insights. En témoigne la récente directive votée par le Parlement européen autorisant la circulation de “méga-camions” aux impacts environnementaux controversés. Résultat, le rail accuse un déclin croissant depuis plusieurs années en France. La part modale du fret ferroviaire s’établissait ainsi à seulement 10,7% en 2021, contre 14,6% en 2002.

Pourtant, ce mode de transport s’avère être un levier essentiel dans la décarbonation du secteur. Un train de fret représente l’équivalent de 35 poids lourds, tout en émettant entre 9 et 14 fois moins de gaz à effet de serre rappelle l’Alliance écologique et sociale. Rassemblant syndicats et associations environnementales, le collectif appelle à la mise en place de mesures favorisant le secteur ferroviaire, comme la création d’un service public du transport des marchandises, mais aussi l’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds ou l’encadrement des nouvelles zones logistiques. Mais “passer par la contrainte risque d’entraîner des troubles sociaux, reconnait Patricia Perennes, évoquant le mouvement des bonnets rouges en 2013. Cela implique un changement de société qui ne sera pas facile à assumer politiquement”.

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