L’état des lieux est sévère : malgré un texte ambitieux, parfois qualifié de précurseur, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) doit encore “faire ses preuves”. C’est en tout cas la conclusion d’un rapport parlementaire livré mercredi 29 mai par les députés Stéphane Delautrette (Parti socialiste) et Véronique Riotton (Renaissance), quatre ans après l’adoption de la loi. Si cette dernière prévoyait de supprimer d’ici 2040 tout emballage plastique à usage unique, la trajectoire aujourd’hui adoptée par la France ne permettrait pas d’envisager une réelle sortie du tout jetable. Les parlementaires notent en effet de nombreux freins, à commencer par une application partielle de certaines mesures.
“Plusieurs dispositions de la loi sont peu appliquées, voire pas du tout appliquées, ne font pas l’objet de mesures de suivi ou de contrôle, ou se heurtent à divers blocages, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou européenne”, soulignent les auteurs. Une observation partagée par plusieurs associations, dont France Nature Environnement, Surfrider Foundation ou encore Les amis de la terre, dans une évaluation publiée en février 2024. Elles constatent notamment la mise en place de “stratégies de contournement des obligations légales et réglementaires déployées par les acteurs économiques.”
La France prend du retard sur ses objectifs
En témoigne la disposition interdisant l’utilisation de la vaisselle jetable pour les restaurants dont les clients consomment sur place. Malgré une instauration il y a plus d’un an, la mise en pratique de la mesure reste encore disparate : selon une enquête menée en novembre 2023 par l’association Que Choisir, près d’un fast-food sur deux ne la respecte pas. Même constat concernant l’installation de fontaines d’eau potable au sein des établissements recevant du public. Deux ans après l’entrée en vigueur de la disposition, les trois quart des lieux concernés inspectés par l’ONG No Plastic In My Sea n’en étaient pas équipés.
Dans les deux cas, la trop faible portée des sanctions encourues par les entreprises et l’absence de contrôles sont pointées du doigt par les associations. Face à ce constat, les parlementaires accompagnent leur rapport d’une centaine de propositions afin de rendre la loi “plus effective”. Car en l’absence d’une application rigoureuse des dispositions, la France prend un retard considérable sur ses objectifs. Rendu obligatoire par la loi Agec depuis le début de l’année, le tri des biodéchets est par exemple à la traine dans de nombreuses communes, freiné par un manque d’informations, des difficultés financières ou encore l’absence de stratégie. Fin 2023, seul un habitant sur trois disposait d’une “solution de tri à la source” selon les données de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
La réduction, encore peu priorisée
La réduction des déchets plastiques souffre elle aussi de lenteurs. Si la législation prévoit de diviser par deux les bouteilles en plastique à usage unique mises sur le marché d’ici 2030, leur nombre a progressé de 4% entre 2021 et 2022. Afin d’inverser cette trajectoire, les parlementaires proposent d’imposer aux producteurs l’élaboration de plans de réduction. Plus globalement, les auteurs du rapport regrettent la concentration des efforts menées “sur l’aval du cycle de vie d’un produit, et notamment sur le tri, la collecte et le recyclage des déchets“ au détriment de “la prévention de la production de déchets, l’écoconception, et le réemploi ou la réutilisation.” Pourtant prioritaires dans la hiérarchie des modes de traitement, les leviers de réduction des déchets restent en effet “les parents pauvres de la loi.”
Un cap d’autant plus difficile à tenir face à la réglementation européenne, parfois moins-disante. Ce fut notamment le cas ces derniers mois lors des discussions portant sur le règlement “emballages”. L’adoption de certaines mesures, comme l’interdiction des emballages à usage unique dans la restauration sur place ou l’interdiction des emballages plastiques des fruits et légumes d’ici 2030, toutes deux déjà en place en France, fait craindre un recul de la loi anti-gaspillage. “La France doit promouvoir et défendre efficacement la loi Agec pour conserver les avancées obtenues et préserver les investissements engagés par l’ensemble des acteurs”, rappellent ainsi Stéphane Delautrette et Véronique Riotton, qui voient dans les avancées françaises une source d’inspiration pour les institutions européennes.