Du chanvre dans nos vêtements. L’image peut prêter à sourire, mais c’est l’avenir de l’industrie textile “made in France” imaginée par la French Filature. Depuis quelques semaines, l’entreprise, filiale du groupe NatUp, a lancé la production d’un fil fabriqué à partir de cette plante longtemps stigmatisée. Quasi absente du secteur de l’habillement, du linge de maison ou de l’ameublement, le chanvre pourrait ainsi trouver sa place dans nos armoires et nos intérieurs grâce à un procédé permettant de créer un fil extrêmement fin et doux.
Obtenir ce résultat n’a cependant rien de simple. Entre la fibre brute et la bobine de fil prête à être commercialisée, pas moins de onze étapes sont nécessaires, nous explique Karim Behlouli, directeur général de NatUp fibres, en nous ouvrant les portes de l’usine normande de la French Filature. Dans un bruit assourdissant, les fibres de chanvre passent d’abord par le peignage. En ressortent de longs rubans blonds, qui serpentent dans les machines lors du processus de “préparation”. Puis vient l’étape de la filature “au mouillé” et enfin du bobinage, avant l’expédition aux futurs clients.

Un alternative “très rustique”
A la sortie de la chaîne de production, le fil ressemble à s’y méprendre à du fil de lin. Mais rien d’étonnant à cela. Si la qualité est la même, c’est que le procédé technique pour produire du fil à partir des deux plantes est lui aussi similaire. “Dès le début, en 2020, notre projet comprenait tout autant le lin, avec lequel nous avons démarré notre activité, que le chanvre”, explique Karim Behlouli. Et pour cause : “penser que l’on peut faire du lin partout est une utopie, il nous fallait des alternatives pour avoir plus de fibres”, ajoute le spécialiste.
En associant les deux plantes, La French Filature s’assure d’obtenir un volume suffisant pour faire tourner son usine, mais aussi plus en amont, les teilleurs, dont l’activité précède le filage, et les agriculteurs. Ces derniers mois, le prix du lin a par exemple fortement augmenté suite à de mauvaises récoltes. Le chanvre, qui résiste davantage aux aléas météorologiques, permet de compenser ces fluctuations. “C’est une plante très rustique capable d’aller chercher l’eau profondément, qui n’a pas besoin de produits phytosanitaires”, affirme Karim Behlouli.
Défendre un modèle social
Une fibre écologique, donc, dont la France est l’un des leaders. Selon un rapport publié par Textile Exchange et partagé par le média spécialisé Fashion Network, la France représentait en 2021 le premier producteur mondial de chanvre devant la Chine et les Etats-Unis, avec plus de 143 000 tonnes produites. Alors que le chanvre était utilisé ces dernières années en grande partie dans l’industrie alimentaire, cosmétique ou encore pour des usages techniques, la French Filature fait donc le pari du textile. Un défi pour l’entreprise qui doit maintenant convaincre les marques de s’approprier cette matière.

Pour cela, elle s’appuie sur Bleu Blanc Chanvre, une plateforme collaborative à laquelle participe plusieurs enseignes comme Petit Bateau ou Saint James. Dans un autre segment, la French Filature compte également sur le soutien des griffes de luxe. “Utiliser du chanvre permet à nos clients de se différencier. C’est un pari, mais qui semble gagnant car il offre une empreinte environnementale moindre et une vraie traçabilité”, fait valoir Karim Behlouli.
Un argument de poids face à la concurrence étrangère qui casse les prix. A titre d’exemple, un fil de lin produit en Chine serait presque deux fois moins cher que son équivalent français, pour une qualité similaire. “En produisant en Normandie, on défend également un modèle social qui finance notre chômage ou nos retraites, appuie Karim Behlouli. Acheter du fil de lin ou de chanvre made in France, c’est remettre du sens dans l’acte d’achat.”