Touche pas à ma poêle. Des centaines de salariés du groupe Seb, venus des quatre coins de la France, sont venus manifester leur colère devant les grilles de l’Assemblée nationale à Paris mercredi 3 avril, à la veille de la discussion dans l’hémicycle d’une proposition de loi inédite. Portée par le député écologiste de Gironde, Nicolas Thierry, elle vise à interdire sur le territoire français la fabrication et la vente de PFAS, ces substances chimiques, aussi appelés “polluants éternels” en raison de leur faible dégradation dans l’environnement, qui entrent dans la composition des poêles anti-adhésives Tefal.
Soutenus par leur direction, qui a affrété des bus pour l’occasion, les salariés de Seb entendent “sauver leur emploi“. “3 000 emplois sont en jeu“, assène la direction du groupe d’électroménager dans les médias depuis plusieurs jours. “Les produits Tefal (fabriqués et vendus par Seb, ndr) ne contiennent pas de PFAS considérés comme nocifs pour la santé humaine ou l’environnement par les autorités sanitaires. Nos revêtements sont fabriqués à partir de PTFE (un autre type de PFAS, ndr), une substance reconnue depuis plus de 50 ans pour son innocuité“, assure l’entreprise dans un communiqué de presse. Et de fustiger la volonté de la France de “se doter d’une législation plus contraignante que l’Europe, sanctionnant la dernière usine à fabriquer des poêles et casseroles sur son sol”.
De nombreuses poursuites contre les géants de la chimie
Le scandale des PFAS a éclaté aux Etats-Unis dans les années 1990 et a été révélé dans le film Dark Waters sorti en 2019. Il montrait comment la société DuPont, qui fabriquait le revêtement Teflon, connu pour ses propriétés anti-adhésives, avait utilisé un PFAS nommé PFOA, incriminé dans des pollutions responsables de nombreux cancers outre-Atlantique. Lors du rachat de la marque Tefal en 1968, Seb a décidé de fabriquer son propre revêtement, qui ne contient pas de PFOA, mais du PTFE, un autre PFAS dont le groupe affirme qu’il ne présente pas de danger, et est “totalement inerte et insoluble”.
“L’industriel est pris en flagrant délit de manque d’anticipation”
“Les entreprises ayant fait le choix d’arrêter d’utiliser les PFAS seront avantagées, au contraire les autres font le choix de se placer du côté des perdants”, réagit l’association Générations futures. En outre, selon une étude réalisée au niveau européen, “l’impact sur l’emploi d’une interdiction dans les ustensiles de cuisine sera faible”. “L’industriel est pris en flagrant délit de manque d’anticipation”, commente également auprès de l’AFP le député Nicolas Thierry, en faisant référence aux poursuites qui ont touché aux États-Unis des géants de la chimie.
En juin 2023, trois groupes chimiques américains, Chemours, DuPont et Corteva, ont ainsi accepté de payer plus d’un milliard de dollars pour éviter des poursuites liées à la contamination des eaux potables par les PFAS. Le groupe 3M a quant à lui accepté de verser jusqu’à 12,5 milliards de dollars dans le cadre des poursuites engagées par plusieurs réseaux publics de distribution d’eau potable pour contamination par les PFAS. En France, dans la “vallée de la Chimie”, la Métropole de Lyon vient d’assigner en justice les chimistes Daikin et Arkema pour déterminer leurs responsabilités dans la pollution aux PFAS. Si elle est confirmée, la métropole pourra demander le paiement du préjudice.
Généraliser le principe du pollueur-payeur
Au niveau européen, le coût total du traitement des eaux potables et usées pour éliminer les PFAS est estimé à 238 milliards d’euros par an, selon un rapport parlementaire remis au gouvernement en début d’année. Mais, pour l’instant, les industriels qui mettent la main à la poche pour participer à la dépollution sont peu nombreux. La proposition de loi vise ainsi à généraliser le principe du pollueur-payeur avec une taxe visant les industriels rejetant des PFAS.
Le texte, discuté ce jeudi 4 avril en première lecture à l’Assemblée nationale, a été adopté à l’unanimité mais la majorité a fait retirer l’alinéa visant les ustensiles de cuisine. Restent concernés les produits cosmétiques, de fart (pour les skis) et les produits textile d’habillement contenant des substances per- et polyfluoroalkylées, à l’exception des vêtements de protection pour les professionnels de la sécurité. La veille, face à la fronde des industriels, le gouvernement avait fait part de sa réserve, et appelait à s’appuyer sur la législation européenne attendue pour 2027-28 au mieux. “C’est bien au niveau européen qu’il faut se battre sur ce sujet-là” avait ainsi expliqué Gabriel Attal, le Premier ministre, interpellé par une députée écologiste à l’Assemblée. Pour être définitivement adopté, le texte devra encore être examiné par le Sénat.