“Une nouvelle page de l’industrie nucléaire va s’ouvrir. Le temps des grands projets nationaux est revenu”, a lancé Bruno Le Maire, en visite sur le site de l’usine de retraitement de La Hague la semaine dernière. Le ministre de l’Economie, également en charge de la transition énergétique, a annoncé la prolongation de la durée de vie des deux usines françaises de recyclage de combustible nucléaire, situées à La Hague (Manche) et à Marcoule (Gard) “au-delà de 2040″. Ce qui confirme le choix de la France de poursuivre sur la voie du retraitement, au contraire de tous les autres pays nucléarisés.
Le pays a fait le choix de recycler ses combustibles usés, qui ne sont donc pas considérés comme des déchets mais comme des matières. Une fois utilisés, ils sont refroidis puis envoyés à l’usine de retraitement de La Hague, où ils sont entreposés plusieurs années dans une piscine le temps que leur radioactivité diminue. Puis ils sont retraités : 95% du combustible usé est transformé en uranium de retraitement, 4% sont des déchets ultimes qui ne peuvent pas être recyclés et 1% est du plutonium recyclé qui est réutilisé dans un certain nombre de réacteurs.
Dépendance russe
Après ces annonces, le directeur général d’Orano, Nicolas Maes, a évoqué un “événement historique“. “Il est en effet très pertinent de faire de l’économie circulaire dans les filières industrielles y compris dans le nucléaire pour des raisons écologiques et de souveraineté énergétique, complète Ludovic Dupin, porte-parole de la Sfen (Société française d’énergie nucléaire). Avec la hausse du prix de l’uranium naturel, c’est aussi pertinent d’un point de vue économique“. A terme, les combustibles recyclés pourraient ainsi produire 25% de l’électricité nucléaire en France, selon Orano.
Mais les réactions n’ont pas toutes été aussi enthousiastes. “Le prix de l’uranium a effectivement un peu augmenté récemment mais il n’a pas explosé comme le prédisait la filière. Le retraitement n’a donc jamais été rentable, lance Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire auprès de l’organisation environnementale Greenpeace. Qui plus est, la réalité est qu’il fonctionne mal puisque moins de 1% des combustibles usés (le plutonium) est aujourd’hui recyclé et réutilisé. Et pourtant, la France est le seul pays à s’entêter à continuer de promouvoir cette solution pour nourrir le mythe d’un nucléaire renouvelable“.
La seule usine au monde capable d’enrichir cet uranium appartient au groupe russe Rosatom
L’uranium de retraitement (URT), qui représente 95% du volume de combustibles usés, est aujourd’hui stocké sur le site du Tricastin, dans la Drôme. 34 000 tonnes d’URT attendent d’être enrichies et réutilisées dans l’un des quatre réacteurs homologués dans la centrale de Cruas, en Ardèche. Le problème – de taille – est que la seule usine au monde capable d’enrichir cet URT appartient au groupe Rosatom et est située en Russie. Elle a longtemps fourni la France, la dernière livraison datant de début février. Le réacteur n°2 de Cruas a ainsi été alimenté avec de l’URT enrichi (URE) en Russie, l’industrie nucléaire ne faisant pas l’objet de sanctions européennes. Mais l’opération n’a pas vocation à se répéter.
Acceptabilité sociale
“Depuis la guerre en Ukraine, il est devenu pertinent de réfléchir à avoir des installations domestiques d’enrichissement de l’URT. L’Europe et les Etats-Unis y travaillent“, pointe Ludovic Dupin. “Nous disposons en France du savoir-faire technique pour convertir l’uranium de traitement (URT). Réaliser la conversion en Occident implique une nouvelle installation avec des engagements clients sur le long terme pour investir dans les équipements industriels requis pour ces opérations”, précise Orano, contacté par Novethic. “L’usine Georges Besse 2 sur le site Orano Tricastin dispose de 2 de ses 14 modules conçus pour enrichir de l’URT” ajoute le groupe.
“Je ne crois pas à l’installation d’une usine de ce type sur notre territoire car outre la rentabilité, cela pose plusieurs défis. D’abord, il y a le risque de contamination du process industriel. Ensuite, il faut aussi avoir en tête que 90% de la matière est rejetée, rajoutant à la masse de déchets à gérer. C’est pour cela que ça nous arrangeait bien de faire faire ça en Russie”, explique Yannick Rousselet. “On se retrouve donc avec une matière qu’on ne va pas pouvoir valoriser“, regrette-t-il.
Reste enfin un aspect important dont il faudra tenir compte : celui de l’acceptabilité sociale. La presqu’île du Contentin accueille déjà l’usine de retraitement de La Hague, les deux réacteurs de la centrale de Flamanville, le futur EPR en chantier… et potentiellement demain une nouvelle piscine d’entreposage et une nouvelle usine de recyclage de plutonium à La Hague. Si jusqu’ici, les habitants ne s’étaient pas rebiffés, profitant notamment des retombées économiques du nucléaire, la nouvelle génération ne l’entend pas ainsi.
Les habitants récalcitrants se sont rassemblés en 2021 au sein du collectif Piscine nucléaire stop. Celui-ci multiplie les actions contre le projet de nouvelle piscine. “Stop ! Trop c’est trop. Laissez la Hague tranquille. Par-delà notre opposition au projet de piscines d’entreposage de combustibles usés à la Hague, notre mot d’ordre est une réflexion sur le problème de la gestion des déchets nucléaires en France”, écrit-il sur son site. Encore faut-il réussir à définir ce terme de “déchets” que la filière se refuse à utiliser.