La filière de l’éolien en mer est-elle en train de vaciller ? Les signaux d’alerte se multiplient depuis plusieurs mois avec en point d’orgue les annonces récentes du géant danois Orsted, spécialiste de l’éolien offshore. Il a dévoilé début février une perte nette de 2,7 milliards d’euros pour 2023. C’est la conséquence de l’abandon des projets Ocean Wind 1 et 2, deux fermes éoliennes qui devaient être installées au large du New Jersey, au nord-est des Etats-Unis, auxquelles il a renoncé en raison de la flambée des coûts.
Le groupe a décidé de suspendre le versement de tout dividende sur les exercices allant de 2023 à 2025, selon son communiqué. Il prévoit aussi de réduire la voilure avec un objectif de 35 à 38 gigawatts (GW) de capacités installées d’ici 2030, contre 50 GW prévus initialement. Et il annonce la suppression de 600 à 800 postes. “Nous mettons en œuvre les enseignements tirés dans notre modèle opérationnel afin de réduire les risques dans le développement et l’exécution des projets”, explique Mads Nipper, son PDG.
“Développer un projet aujourd’hui coûte bien plus cher qu’avant”
Le cas d’Orsted n’est pas isolé. En juillet dernier, le suédois Vattenfall avait lui aussi annoncé la suspension de son projet d’éolien en mer Norfolk Boreas au large du Royaume-Uni. Quelques semaines auparavant, le groupe s’était également retiré de l’appel d’offres d’éolien flottant en Méditerranée, lancé par le gouvernement français. L’été dernier, Shell, Engie et Iberdrola avaient quant à eux résilié des contrats d’achat d’électricité liés à deux projets de fermes éoliennes offshore dans le Massachussets, aux Etats-Unis. Dans le même temps, au Royaume-Uni, le dernier appel d’offres n’obtenait aucune candidature : une première !
En cause, un contexte économique devenu défavorable à une filière qui avait jusque-là connu une euphorie. “Nos coûts ont progressé de 40%”, témoigne ainsi Vattenfall. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont en effet entraîné une hausse des prix des matières ainsi que des difficultés d’approvisionnement. “L’indice des prix à la production a explosé : +20 % en 2022 dans les pays de l’OCDE”, pointe Bertrand Fazio, consultant spécialisé interrogé par Novethic.
A cela s’ajoute des taux d’intérêt qui grimpent en flèche, rendant le coût de l’investissement plus élevé. “Résultat : développer un projet aujourd’hui coûte bien plus cher qu’avant. Le problème c’est qu’il se passe plusieurs années, cinq à sept ans, entre le moment où une entreprise répond à un appel d’offres et où elle lance effectivement la construction du parc. Entre-temps, les conditions économiques ont changé avec des coûts en forte hausse”, nous résume Jérémy Simon, délégué général adjoint du Syndicat des énergies renouvelables. Il cite aussi la concurrence accrue avec l’Asie et les Etats-Unis, et des concertations qui s’éternisent faute d’acceptabilité sociale.
“Le risque d’un trou d’air existe bel et bien”
Faut-il alors craindre un arrêt des projets alors que l’éolien en mer constitue l’un des piliers pour décarboner notre mix électrique ? “Les acteurs sont préoccupés, ils sont sur la réserve, poursuit Jérémy Simon. Néanmoins, la filière a plutôt le vent en poupe en France, elle bénéficie d’une bonne dynamique politique”, défend-il. Le gouvernement compte en effet sur l’éolien offshore, au détriment de l’éolien terrestre, objet de vives contestations, pour atteindre ses objectifs climatiques. ll vise 18 GW de capacités installées en 2035 et 40 GW en 2050, de quoi donner un cap.
Ces derniers mois, elle a mis un coup d’accélérateur en multipliant les appels d’offre. Mais le risque d’un trou d’air existe bel et bien. “Quand on voit le rythme d’attribution des appels d’offres jusqu’à maintenant (2012, 2014, 2019, 2023), c’est assez erratique. Ce manque de visibilité rend difficile le développement d’une chaine de valeur industrielle avec tous les aspects investissements humains et d’infrastructure associés”, explique Bertrand Fazio. “Là, en théorie, les attributions de projets devraient bien s’enchaîner jusqu’en 2025, mais il y a ensuite un gros risque de rupture au moment de l’appel d’offres AO10 de 10 GW puisque, pour l’instant, aucune étude n’a encore commencé“, s’inquiète-t-il.
Si les candidats se pressent encore pour répondre aux appels d’offre lancés par l’Etat français, on constate une baisse des prix, avec des marchés sous les 45 euros du mégawattheure, pour le dernier appel d’offres remporté en 2023 en Centre-Manche. Des prix bien en-deçà de ceux pratiqués au Royaume-Uni par exemple, où le gouvernement a doublé la mise pour atteindre 85 €/MWh ou encore aux Etats-Unis où le dernier projet a été attribué à 120 €/MWh aux Etats-Unis. “Il risque d’y avoir un problème d’attractivité du marché français mais aussi de délocalisation hors d’Europe des fabrications pour respecter de tels niveaux de prix“, prévient Bertrand Fazio.