Publié le 6 mars 2024

Le Digital Markets Act entre en application dans l’Union Européenne. Ces nouvelles règles bouleversent le jeu économique des Big Techs. Alors que des concessions ont déjà été faites à propos des réseaux sociaux, les firmes multiplient les stratégies de riposte.

Touchées mais pas coulées. Ce mercredi 6 mars entre en application le Digital Markets Act (DMA), législation européenne inédite visant à lutter contre la toute-puissance de firmes incontournables dans le monde digital. Les nouvelles règles s’appliquent à 22 services appartenant aux entreprises Apple, Amazon, ByteDance (TikTok), Meta, Microsoft et Alphabet (Google), qualifiées de “contrôleur d’accès”. On trouve par exemple le système d’exploitation iOS, la messagerie Whatsapp ou encore Amazon Marketplace. Cependant, de nombreuses compagnies ne comptent pas se laisser faire.

“Le DMA entre en contradiction avec le modèle économique des Big Techs fondé, entre autres, sur la collecte de données et sur l’intégration de services dont ils contrôlent l’accès”, explique auprès de Novethic Laure Landes-Gronowski, avocate spécialisée dans le numérique. Parmi les nouvelles obligations se trouvent par exemple le fait de pouvoir désinstaller des applications préinstallées, de rendre compatibles entre eux différents systèmes de messagerie ou encore de pouvoir partager des playlists musicales entre différentes plateformes d’écoute. Le DMA renforce aussi le contrôle des utilisateurs sur l’usage de leurs données personnelles.

Le début d’un bras de fer

De quoi provoquer l’ire des Big Techs. ByteDance conteste fermement la qualification du réseau social Tik Tok comme un contrôleur d’accès et a déposé un recours auprès de la Cour de justice de l’Union Européenne en novembre 2023. Apple et Meta ont également déposé des recours à propos de certains de leurs services. C’est le début d’un bras de fer alors que d’autres services pourraient encore être désignés comme des “contrôleurs d’accès” et devoir respecter le DMA. La Commission doit notamment se prononcer à propos de Booking.com, d’X, du service Ipad OS d’Apple et d’un autre service de Bytedance. Plusieurs services pressentis ont déjà été écartés du champ d’application comme Imessage d’Apple, Gmail de Google ou encore les moteurs de recherche Bing et Edge de Microsoft.

D’autres stratégies visent à tirer des avantages de l’entrée en application du DMA. Apple a par exemple revu ses conditions tarifaires. Les éditeurs d’applications téléchargées même en dehors de l’Appstore devront s’acquitter de 50 centimes par nouvelle installation, dont les mises à jour après un an d’utilisation, à partir d’un million de téléchargements. “C’est une machine à cash pour Apple, même Meta commence à s’en plaindre”, fustige auprès de Novethic Marianne Tordeux Birker, directrice des affaires publiques de France Digitale, association de start-ups française. Celle-ci a signé, avec 33 autres entreprises et associations, une lettre à destination de la Commission européenne pour pointer du doigt des pratiques contraires à l’esprit du DMA.

La portée du DMA déjà réduite à propos des réseaux sociaux

Pour la marque à la pomme, ces nouveaux tarifs “reflètent la valeur qu’Apple offre aux développeurs grâce à des investissements continus dans les outils, technologies et services mis en avant”. Mais la défense d’Apple ne s’arrête pas là. Dans sa communication, la firme présente les obligations du DMA comme un risque pour la sécurité des utilisateurs, citant “les logiciels malveillants, les fraudes et les escroqueries”, dans sa documentation support. Cinq jours avant l’entrée en application du DMA, Apple a publié des extraits d’e-mails d’utilisateurs inquiets à ce sujet, relate le média 01net. Une affirmation contestée. “Ces pratiques restent illégales et l’Europe dispose d’un outil dissuasif pour cela, le RGPD, de plus le risque existe déjà”, oppose Bastien Le Querrec, juriste membre de l’association La quadrature du net.

Le DMA reste accueilli comme une avancée pour l’émergence d’alternatives aux Big Techs, complémentaire au DSA entré en application en août 2023. Toutefois, l’association La quadrature du net nuance sa portée, en particulier à propos des réseaux sociaux. “L’Union européenne n’a pas voulu révolutionner leur modèle et a abandonné l’interopérabilité des réseaux sociaux, nécessaire pour favoriser l’émergence d’alternatives. Or le modèle économique actuel, basé sur l’économie de l’attention, favorise la viralité afin de vendre plus de publicité, ce qui intensifie la diffusion de contenus haineux”, explique Bastien Le Querrec. Les géants du numérique ont encore de beaux jours devant eux.

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