L’inauguration plus que mouvementée du Salon de l’Agriculture samedi 24 février où des heurts ont opposé des agriculteurs “bonnet jaunes” aux forces de l’ordre dans le cadre de la visite d’Emmanuel Macron, a fait de cet événement le catalyseur de toutes les colères agricoles. Celles-ci portent sur de nombreux sujets : revenus minimum, usages des pesticides, prix payés par les coopératives et les distributeurs mais aussi changement climatique et manque d’eau, très aigu dans les Pyrénées Orientales.
Très sérieux incident alors qu’Emmanuel Macron arrive au Salon de l’Agriculture, des agriculteurs notamment de la Coordination Rurale rentre en force avec pour objectif de « sortir le président ». pic.twitter.com/HDREPWSMf4
— Remy Buisine (@RemyBuisine) February 24, 2024
L’exaspération monte depuis plusieurs semaines depuis des terres souvent lointaines, ce qui rend cette crise agricole multiforme, difficile à appréhender par la capitale. Les agriculteurs sont montés au volant de leurs tracteurs pour expliquer aux Parisiens les impasses auxquelles ils sont confrontés. Un des foyers les plus actifs de ce “ras-le-bol » se trouve dans le Sud-Ouest et les départements du Tarn, du Tarn-et-Garonne et du Lot-et-Garonne qui ont pour capitale Albi, Montauban ou Agen. Ils symbolisent cette France rurale qui s’est désertifiée et paupérisée. La densité moyenne y est très faible, entre 60 et 70 habitants par km² alors qu’elle atteint, dans le département de Toulouse, 227 habitants par km².
Insoutenabilité du modèle actuel
Pour interpeler les citadins, ce monde rural a commencé par bloquer les autoroutes. Les premiers barrages ont été installés sur l’A62, qui relie Bordeaux à Toulouse, avec des revendications axées sur la survie des agriculteurs de plus en plus menacée. Face à des revenus très réduits et un endettement très important, ils veulent obtenir des revenus décents. Mais leurs différents représentants ne focalisent pas sur les mêmes enjeux. “Les revendications du terrain ne sont pas concentrées sur le détricotage de normes environnementales mais sur le revenu paysan issu de notre activité agricole“, explique la Confédération paysanne. La FNSEA se bat contre les normes environnementales visant à limiter l’usage des pesticides et les dispositifs européens de verdissement du modèle agricole. La Coordination Rurale (les “bonnets jaunes”) demande quant à elle un tour de table avec les banques pour négocier une année blanche de crédits.
Les trois principaux mouvements d’agriculteurs ont des sensibilités politique variées mais convergent sur un point : l’insoutenabilité du modèle actuel. Les déséquilibres entre revenus des petits producteurs et dirigeants de coopératives géantes s’aggravent, la qualité des sols et la préservation de la biodiversité, source indispensable de l’activité agricole deviennent des enjeux cruciaux. Un sondage BVA, commandé par le collectif Nourrir et Terra Nova publié le 22 février, fait la synthèse des préoccupations des agriculteurs : 52% d’entre eux sont d’abord préoccupés par la construction des prix agricoles mais plus de 20% citent le changement climatique comme une préoccupation majeure. Ceci explique que 62% d’entre eux estiment que la transition écologique est une nécessité et que seuls 15% en refusent le principe.
Guérilla dans le Tarn
Les affrontements en ouverture du Salon de l’agriculture font écho à la guérilla que mènent les forces de l’ordre dans le Tarn contre les défenseurs des arbres qui doivent être abattus pour la construction du tronçon de l’A69 entre Castres et Toulouse. Devenu un symbole de la lutte pour la protection de la biodiversité, le site est chaque week-end le théâtre de manifestations de soutien à ce mouvement écologiste dont beaucoup aimeraient faire le bouc émissaire de la crise agricole.
A ce stade, et compte tenu de l’exacerbation de la colère qui règne, il semble impossible de pouvoir débattre sereinement de la transformation d’un modèle agricole qui dysfonctionne et auquel les petits agriculteurs payent le tribut le plus élevé. C’est le message qu’ils ont réussi à faire passer au moment où toutes les caméras étaient braquées sur eux, loin de leurs fermes !