Anne-Sophie Novel, vous avez piloté la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Quel est votre vœu pour l’année 2024 ?
Anne-Sophie Novel : Aujourd’hui, l’écologie devient un élément de fracture, la colère des agriculteurs le montre bien. Mon vœu pour 2024 est que l’on arrive à dépasser les clivages. J’aimerais que l’on réussisse à se parler différemment et à réinstaurer du dialogue, d’autant plus que de nombreuses échéances électorales se rapprochent. Or sur les réseaux sociaux, tout est fait pour entretenir une flemme de bien s’informer. Il faut faire de l’audience, du clic, du score, être élu… L’indignation permanente capture notre attention et la détourne d’un sens citoyen. Dans cette fuite en avant, nous restons bloqués dans le clash.
Certaines personnes estiment que le rapport de force est une bonne manière de faire entendre ses arguments mais, de mon point de vue, cela fait appel au cerveau reptilien. Cela ne nous permet pas de grandir ensemble. Quand on dit ça, on passe souvent pour des bisounours. De mon point de vue, nous devons apprendre à ne pas reproduire les mêmes échecs.
Que peuvent faire les journalistes pour dépasser les clivages ?
A-S.N. : J’aimerais que les origines profondes des sentiments d’injustice soient documentées. Pour les agriculteurs, les sujets sont nombreux : les fermes non renouvelées, le manque de main d’œuvre, le taux de suicide… La grogne vient de là. Nous devons apprendre à traiter moins d’informations mais à les traiter mieux, à prendre le temps de la profondeur. Cela doit nous pousser à retourner faire un travail de terrain, de lien avec le public. Nous devons aussi ouvrir les coulisses de notre travail, présenter les obstacles et difficultés que l’on rencontre.
Nous, journalistes, avons un énorme rôle à jouer pour essayer d’apporter des éléments plus nuancés et cadrer les éléments du débat. La difficulté est que si les lecteurs ne regardent que ce dont ils ont envie, nous allons rester enfermés dans des silos. Ce serait bien de se retrouver dans de nouveaux espaces, reconnaître que nous sommes tous en désaccord et se dire : "maintenant, nous baissons les armes de l’indignation".
Quels changements attendez-vous dans le monde des médias français en 2024 ?
A-S.N. : Le paysage médiatique français se renouvelle mais est aussi menacé. J’attends beaucoup des travaux de deux commissions parlementaires. Je pense à la commission transpartisane sur le traitement médiatique de l’urgence climatique, lancée en 2023 par le député Stéphane Delautrette, qui va bientôt rendre ses conclusions. Je ne suis pas d’accord avec la proposition de mettre en place des quotas de sujets sur le climat mais j’espère des échanges intéressants sur la façon d’améliorer la place de l’écologie dans les médias.
Il y a aussi une commission en cours pour étudier le financement des médias, ce qui est un énorme chantier. Pour moi, il faudrait mettre des conditions aux aides à la presse afin de réguler un certain nombre de dérives, comme la concentration des médias aux mains d’un petit nombre de personnes. Les médias indépendants galèrent alors que leurs investigations ont conduit à des avancées administratives ou judiciaires, cela a été prouvé. De la même manière, il faudrait étudier l’impact des informations bâclées, qui ne font que semer la zizanie.
Propos recueillis par Fanny Breuneval