Publié le 6 février 2024

L’annulation brutale des élections présidentielles prévues au Sénégal le 25 février prochain plonge le pays dans l’incertitude. Le président Macky Sall s’accorde ainsi une prolongation de mandat dans un climat d’inquiétude générale. Les intérêts français sont importants dans un pays à la démocratie stable jusque-là. Il reste un allié précieux dans cette région où la France commence à en manquer.

Macky Sall, le président sénégalais, a annoncé samedi qu’il annulait par décret les élections présidentielles prévues le 25 février prochain, précipitant ainsi son pays dans une crise majeure. Les Sénégalais manifestent en masse et les députés chargés de discuter du projet de loi pour fixer une nouvelle date pour les élections en sont venus aux mains.

Après avoir évacué les élus d’opposition de l’Assemblée nationale, le Parlement a finalement fixé les élections au 15 décembre prochain. Ce qui prolonge de facto au moins jusqu’à cette date le mandat de Macky Sall. Le pays qui jouissait jusque-là d’une stabilité démocratique sans faille depuis 1963 semble confronté à un chaos d’autant plus difficile à décrypter que l’accès à Internet par téléphone, moyen massivement utilisé par les Sénégalais, a été coupé depuis dimanche soir.

Intérêts français

Macky Sall s’était engagé à ne pas faire de troisième mandat et à respecter la Constitution, ce qui le condamnait à ne pas être candidat. Il a tout mis en œuvre pour que son principal adversaire Ousmane Sonko ne puisse pas se présenter. Très populaire auprès des jeunes, celui-ci a des positions assez radicalement anti-françaises, demandant à ce que l’ancien colonisateur “fiche la paix” au Sénégal.

Le coup de théâtre de Macky Sall expose le pays à un risque de putsch et de déstabilisation d’autant plus dangereuse que les juntes militaires qui ont pris le pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso viennent d’annoncer qu’elles quittaient la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dont le Sénégal est un des piliers. Ces trois pays d’Afrique de l’Ouest sont aux mains de régimes ouvertement anti-français, soutenus par la Russie, ce qui compromet les activités économiques des grandes entreprises qui y opèrent, à l’image d’Orano (ex-Areva) au Niger.

La France a à la fois intérêt à ce que la stabilité démocratique du Sénégal ne soit pas remise en cause mais aussi à ce que des régimes qui lui sont favorables, comme celui de Macky Sall, restent au pouvoir. L’embrasement actuel rend difficile la tenue de cette position. Les intérêts français au Sénégal sont très importants. La France est le premier partenaire commercial du pays et représente plus de 80% des investissements étrangers. Macky Sall a lancé un vaste programme économique axé sur les infrastructures de transport, d’électricité et d’équipements numériques appelé “Plan pour un Sénégal Émergent”. Réactualisé après la crise du Covid, il met dorénavant l’accent sur l’agriculture intensive, le développement de la santé et de l’éducation ainsi que celui du secteur privé.

“Le Dubaï de l’Afrique”

L’arrestation Ousmane Sonko, principal opposant à Macky Sall, avait provoqué des émeutes en 2021. Elles avaient particulièrement ciblé quatre groupes français très présents dans le pays. Eiffage qui a construit autoroutes et péages, les supermarchés Auchan, les installations d’Orange et celles de Total. L’octroi au groupe pétrolier français des contrats d’exploitations des gisements de pétrole et de gaz découverts au large du Sénégal en 2017, avait déclenché une crise gouvernementale. Le Ministre de l’énergie de l’époque avait démissionné estimant que ces contrats n’étaient pas assez favorables aux intérêts du Sénégal. Depuis, beaucoup de ces gros contrats ont été renégociés et comprennent des transferts de compétences ainsi que des montages financiers qui permettent aux structures sénégalaises de devenir des actionnaires de référence des entités ainsi créées.

Le groupe Vinci a, par exemple, signé avec la Société Nationale Electrique (Sénélec) un contrat de 200 millions d’euros pour construire 1 350 kilomètres de lignes de transport d’électricité et 8 postes de transformation en très haute tension. Le TER de Dakar est exploité par la SNCF et a été construit par Alstom. L’entreprise avait obtenu, en 2016, un contrat pour construire 15 trains régionaux pour un montant qui n’a pas été rendu public. 2024 devait être l’année de la mise en production des ressources off shore du pays permettant de produire 100 000 barils de pétrole par jour et de développer la production de GNL au large de la ville de Saint Louis.

Encore faudrait-il que le Sénégal dont Macky Sall voudrait faire “le Dubaï de l’Afrique” ne s’embrase pas longtemps. Le pays, qui compte de nombreux jeunes formés et diplômés, peine à leur offrir un avenir économique solide. Alors que la moitié de la population a moins de 20 ans, l’aspiration des jeunes à changer de système politique et économique est très forte, Macky Sall a pris un énorme risque. Le bras de fer est engagé. Difficile d’en imaginer l’issue.

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