Mistral AI rejoint le petit club des licornes, ces sociétés de la tech valorisées à plus d’un milliard d’euros. La startup française d’intelligence artificielle a annoncé dimanche 10 décembre avoir levé 385 millions d’euros, devenant ainsi l’une des championnes de l’intelligence artificielle en Europe. Seule l’allemande Aleph Alpha est aussi richement dotée après avoir levé début novembre près de 500 millions d’euros. "Depuis la création de Mistral AI en mai, nous suivons une ambition claire : créer un champion européen à vocation mondiale dans l’intelligence artificielle (…)", a déclaré son patron, Arthur Mensch, dans un communiqué à l’AFP.
L’entreprise française vit une véritable sucess story. En seulement six mois, sa valeur a été multipliée par plus de sept, portée par des entreprises comme Salesforce, BNP Paribas ou encore la société de capital-risque Lightspeed Venture Partners. Une croissance d’autant plus impressionnante que les levées de fonds pour les startups de la French Tech ont chuté lourdement – de moitié – au premier semestre 2023, signe de l’engouement des investisseurs pour l’intelligence artificielle.
"Se battre à armes égales avec les concurrents américains"
Il faut dire que sur le papier, le CV des trois cofondateurs est séduisant pour concurrencer l’américain OpenAI à l’origine de ChatGPT. Le PDG, Arthur Mensch, 31 ans, polytechnicien et normalien, a passé près de trois ans chez DeepMind, le laboratoire d’IA de Google. Ses associés viennent de Meta (Facebook) : Guillaume Lample est l’un des créateurs du modèle de langage LLaMA dévoilé par Meta en février, et Timothée Lacroix était lui aussi chercheur chez Meta. À l’heure où la France et l’Europe tentent, tant bien que mal, de se lancer dans la course à l’IA, la création d’un géant européen relance la dynamique d’une souveraineté numérique.
Un message que le patron de Mistral AI, Arthur Mensh a bien compris : "Il nous semblait impératif que des outils aussi structurants que les modèles de langage pour nos économies et nos démocraties ne soient pas contrôlés uniquement par un très petit nombre d’entreprises – par ailleurs toutes américaines ou chinoises", explique-t-il dans Les Échos.
Hasard du calendrier, après trois mois de négociations, le 9 décembre l’Union européenne a trouvé un accord de régulation de l’intelligence artificielle. Un texte censé encadrer les potentielles dérives de ces technologies. "L’Union européenne devient le premier continent à fixer des règles claires pour l’utilisation de l’IA", s’est ainsi félicitée le commissaire européen Thierry Breton. C’est un texte qui est "avant-gardiste, responsable et global qui fixe des standards mondiaux", a abondé la présidente du Parlement Roberta Metsola. Mistral AI devra donc s’y conformer. Mais l’entreprise est pour le moins frileuse. Arthur Mensch demande en effet que les entreprises européennes "puissent se battre à armes égales avec leurs concurrents américains".
Une intelligence artificielle plus éthique
Et justement aux États-Unis, les dérives de l’intelligence artificielle ont bien failli faire tomber la startup OpenAI, à l’origine de ChatGPT et concurrente directe de Mistral AI. Le patron, Sam Altman, a été limogé par le conseil d’administration, avant de reprendre sa place. En toile de fonds, une véritable guerre idéologique s’est joué avec deux visions de l’intelligence artificielle qui s’affrontent. D’un côté, le mouvement Effective Altruism, baptisé EA, qui vise à "agir, et réguler pour faire le ‘bien’ dans le monde, quitte à freiner l’avancée technologique", comme le rapporte le spécialiste Thibault Louis sur LinkedIn. De l’autre, l’Effective Accelerationism abrégé en e/acc : "Courant techno-enthousiaste qui vise à aller le plus vite possible en technologie et embrasser les changements en s’y adaptant". Sam Altman était accusé par certains membres du CA de pousser au développement effréné de l’IA, sans garde-fou.
Alors où se place Mistral AI sur cet échiquier ? Si certains experts comme Ciprian Melian estime dans un billet LinkedIn que "en optant résolument pour l’open source, Mistral AI ouvre la voie à une intelligence artificielle plus éthique, transparente et inclusive", le positionnement d’Arthur Mensch sur la régulation européenne pose question. Dans une tribune, Thierry Breton dénonçait le lobbying de la startup : "Nous ne sommes dupes de rien. Elle défend son business aujourd’hui, et non, l’intérêt général. Or, je m’adresse à celles qui vont venir, et celles-là, je leur dis : "Oui il va y avoir une capacité formidable d’innovation en Europe, mais il y aura aussi des obligations qui lui seront associées".
Marina Fabre Soundron avec AFP