Ils sont 430 Américains d’origine yézidie a déposé plainte au civil contre le cimentier français Lafarge. Ils accusent le groupe d’avoir financé le groupe djihadiste État islamique (EI) en Syrie. L’entreprise aurait "aidé et encouragé les actes de terrorisme international de l’EI et conspiré avec l’EI et ses intermédiaires, il doit verser un dédommagement aux survivants", dénoncent les plaignants. Parmi ces rescapés se trouve Nadia Murad, lauréate du prix Nobel de la Paix en 2018 et ancienne esclave sexuelle de l’EI.
Elle milite avec l’avocate Amal Clooney auprès des instances internationales pour que les crimes du groupe djihadiste soient jugés. "Il est choquant qu’une grande entreprise internationale ait travaillé main dans la main avec l’EI alors que ce-dernier exécutait des civils américains et commettait un génocide contre les Yézidis", dénonce l’avocate dans un communiqué. Concrètement, les 430 plaignants réclament que la responsabilité de Lafarge soit reconnue en vertu de la législation antiterroriste américaine, ainsi que l’octroi d’indemnités dont le montant n’est pas précisé.
Payer l’EI pour maintenir son activité en Syrie
Pour le cimentier français contacté par l’AFP, il s’agit d’un "dossier du passé, que Lafarge SA (entité française, NDLR) gère de manière responsable". Pour cause : poursuivi au pénal par le gouvernement américain, Lafarge a plaidé coupable le 18 octobre 2022 et payé 778 millions de dollars pour avoir collaboré en 2013 et en 2014 avec l’EI en Syrie. Il a notamment admis avoir effectué des paiements de près de six millions de dollars à l’EI et au Front al-Nousra entre août 2013 et octobre 2014 afin de maintenir l’activité de sa cimenterie à Jalabiya (Syrie), mise en service en 2010.
La plainte civile affirme que le montant réel est supérieur, "plus proche de 15,5 millions de dollars". Ces arrangements avec les djihadistes auraient permis à Lafarge de dégager 70 millions de dollars de chiffre d’affaires. "Bien que l’accord de plaider-coupable de l’an dernier était inédit, ce n’est pas suffisant. Lafarge doit être tenu responsable envers ceux qui ont été affectés par son comportement illégal", affirme l’avocat Lee Wolosky, un ancien diplomate et ancien conseiller spécial du président Joe Biden à la Maison-Blanche.
Plus de 6 400 Yézidis ont été enlevés et seuls 3 300 – surtout des femmes et des enfants – ont été secourus ou ont pu fuir. Les plaignants affirment qu’une partie du ciment a notamment été utilisée pour construire "un réseau de tunnels servant à abriter des combattants de l’EI et des armes, et à transporter, piéger et torturer des otages y compris des Yézidis". Le cimentier est aussi poursuivi en France depuis 2018 pour complicité de crimes contre l’humanité, financement d’entreprise terroriste et mise en danger de la vie d’autrui.
Risques réputationnels et juridiques dans les zones en guerre
Les entreprises étrangères qui maintiennent leurs activités dans des pays en guerre s’exposent à des risques juridiques mais aussi réputationnels. Récemment, une enquête du Monde avait par exemple montré que plusieurs produits de Leroy Merlin et Auchan, s’étaient retrouvés sur le front russe. "De nombreux bien vendus par Leroy Merlin se retrouvent sur le front et permettent d’équiper les forces de l’armée russe. D’ailleurs on voit plus souvent des cartons Leroy Merlin sur le front qu’Auchan parce que, vendant des produits de bricolage comme des pioches, ces outils peuvent permettre l’édification de camps ou de tranchées", expliquait à Novethic le journaliste Arthur Weil-Rabaud.
De manière générale, partir ou rester dans des zones de conflit est un vrai dilemme pour les entreprises. Et se positionner également. McDonald’s fait ainsi l’objet d’une campagne de boycott dans plusieurs pays. Selon le Washington Post, la société Alonyal Limited, qui gère McDonald’s Israël a indiqué sur Instagram qu’elle offrirait "des repas gratuits aux soldats israéliens ainsi qu’aux hôpitaux". "Plusieurs restaurants de la chaîne ont été vandalisés en Turquie, au Liban et en Égypte", note le Washington Post.
Marina Fabre Soundron avec AFP