Le procès Exxon était annoncé comme hors norme. Il n’a pas usurpé le terme. Après trois semaines, le vice- procureur de l’État de New York, qui assignait le pétrolier, a créé la surprise, si ce n’est la stupeur, en abandonnant trois des quatre charges qui pesaient sur la multinationale.
Abandonnées les accusations d’avoir trompé les actionnaires sur le coût réel du changement climatique et diffusé de fausses informations les ayant conduits à acheter des actions surévaluées. Abandonnée aussi la charge de fraude de la "common law" fédérale. Seule reste une charge, basée sur un axe très spécifique du droit de l’État de New York, le Martin Act, qu’Exxon aurait violé en diffusant des déclarations trompeuses quant à l’utilisation de deux outils différents permettant d’intégrer le coût indirect du carbone.
Une "blague cruelle" selon Exxon
La stratégie peut sembler déroutante. Les charges de tromperies des actionnaires apparaissaient comme phares depuis le dépôt de la plainte. Mais celles-ci ont pu sembler manquer de solidité. Déjà, en août dernier, la SEC, le gendarme de la bourse américain, avait classé sans suite une enquête de près de deux ans sur les pratiques comptables du pétrolier et de l’impact financier des politiques publiques contre le réchauffement climatique sur ses résultats.
Pendant le procès, les débats ont également pu tourner à l’avantage du pétrolier. Le Wall Street Journal ayant été jusqu’à le qualifier de "parodie de procès climatique". Pour Exxon, "cette affaire est presque une blague, mais une blague cruelle car la réputation de beaucoup de personnes – dont l’ex directeur général Rex Tillerson- a été endommagée par le dépôt de la plainte", a de son côté déclaré l’avocat du pétrolier, Theodore Wells. A l’annonce de l’abandon des trois charges, celui-ci s’en est d’ailleurs offusqué, suggérant que le procureur avait abandonné les charges à des fins stratégiques, ayant manqué de preuves face à un dossier "sans fondement".
Eviter de blanchir Exxon
En se concentrant sur la dernière charge, l’État de New York n’aura en effet "pas à prouver son intention, ni de démontrer que les investisseurs se sont fiés aux informations prétendues fausses", précise Bloomberg. Il évite ainsi d’obtenir un blanchissement du pétrolier sur ces charges, ce qui aurait pu hypothéquer la suite des autres procès en cours, notamment celui du Massachussetts qui accuse l’entreprise d’avoir non seulement trompé les actionnaires mais aussi les consommateurs.
"La question n’est pas de savoir si les employés d’Exxon étaient de bonnes personnes ou faisaient de leur mieux", ou si Exxon est responsable du changement climatique, a déclaré le vice procureur de l’État de New York, Jonathan Zweig. "La question est de savoir si les informations communiquées par Exxon étaient exactes. Et les éléments de preuve montrent qu’elles ne l’étaient pas."
Les débuts du contentieux climatique
"Certes, ce premier procès a échoué, mais ce n’est pas grave", estime l’avocat français spécialisé dans l’environnement, Sebastien Mabile, interrogé par l’AEF Développement durable. "Le contentieux climatique ne fait qu’émerger" et ce procès a permis, selon lui, "de mettre en lumière les agissements et les connaissances d’Exxon" qui "savait précisément les effets de ses produits sur l’environnement".
Le jugement de ce procès est attendu dans une trentaine de jours. Mais en dehors des plaintes visant Exxon, plus d’une douzaine de poursuites pour "nuisances publiques" ont été intentées par des collectivités américaines contre des sociétés énergétiques. Elles visent à les tenir responsables des milliards de dollars dépensés par les contribuables pour s’acclimater à un monde qui se réchauffe, comme le montrent les récents ouragans, incendies et autres inondations qui ont causé des dégâts sans précédents ces derniers mois. Des poursuites qui, jusque-là, ont cependant connu des résultats mitigés.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
Publié le 18 novembre 2019
Ce devait être la version pétrolière des grands procès du tabac. Le procès américain d’Exxon, initié par l’Etat de New York, s’est finalement clôt par un coup de théâtre, le vice-procureur ayant abandonné trois des quatre charges qui pesaient sur le pétrolier. Une stratégie qui peut sembler déroutante mais qui a sa logique dans la perspective des nombreux procès climatiques à venir.
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