Publié le 14 juin 2024

Pionnier des cosmétiques naturelles, The Body Shop voit son horizon s’assombrir. Plus vraiment alignée avec ses valeurs depuis son rachat par L’Oréal, la marque autrefois référente dans son domaine n’arrive plus à convaincre au sein d’un marché saturé.

Parfums fruités, packaging colorés, slogans engagés… The Body Shop a marqué les esprits de toute une génération. Passage obligé pour les milléniaux nés entre les années 80 et 90, l’enseigne a aujourd’hui perdu son statut de marque emblématique de la cosmétique naturelle. Depuis plusieurs mois, l’entreprise encaisse un effondrement de ses ventes et une fermeture progressive de ses magasins. Au Royaume-Uni, sa maison mère a annoncé une vague de licenciements avant de finalement déposer le bilan en février dernier.

Dans l’Hexagone, la situation n’est guère plus positive. La filiale française, qui comprend 66 boutiques et emploie plus de 250 salariés, souffre de mauvaises performances financières avec un chiffre d’affaires annuel en baisse de -14% selon le média spécialisé LSA. Placé en redressement judiciaire le 4 avril 2024 par le tribunal de commerce de Paris, l’avenir de The Body Shop France repose maintenant sur une éventuelle reprise dont le périmètre reste encore à déterminer. Deux offres ont pour l’heure été formulées.

“Quand on achetait The Body Shop, on achetait du militantisme”

L’une par la plateforme de produits pharmaceutiques Horizon Pharma, l’autre par Berger International, qui détient notamment les parfumeurs d’intérieur Maison Berger Paris et My Jolie Candle. Dans les deux cas, seule une partie des employés et des baux commerciaux seraient finalement repris. Un destin qui s’annonce bien sombre pour une marque pourtant précurseur dans le secteur de la cosmétique éthique. Engagé dès son lancement dans les années 70 contre les tests sur les animaux, The Body Shop a construit son offre autour de produits composés d’actifs naturels, vendus pour certains dans des contenants réutilisables.

Fortement incarnée par sa fondatrice, Anita Roddick, la démarche se voulait militante au sein d’un marché encore peu sensibilisé aux questions de durabilité. Les consommateurs de la marque “adhér[aient] au système de valeurs qu’elle défendait”, se rappelle auprès de la BBC Mary Portas, consultante dans la vente au détail. Un engagement qui ne portait pas seulement sur l’écologie. “The Body Shop était très en avance sur son temps, explique à Novethic Emmanuelle Dumas, consultante en marketing et spécialiste du secteur cosmétique. C’est l’une des premières marques à avoir parlé de santé mentale ou à avoir proposé d’autres standards de représentation de la féminité”.

Au début des années 2000, l’entreprise connait cependant un premier revers. Revendu au géant de la beauté L’Oréal, dont les pratiques sont à l’époque diamétralement opposées, notamment concernant les tests sur les animaux, The Body Shop fait face à des appels au boycott. “Quand on achetait The Body Shop, on achetait du militantisme. Cette image a été cassée lors du rachat par L’Oréal qui n’était pas crédible dans ce discours”, fait valoir Fred Ghenassia, directeur du laboratoire de cosmétique responsable Co-re-lab, interrogé par Novethic. Une incompatibilité qui débouche dix ans plus tard sur la vente de l’enseigne au groupe brésilien Natura&co, qui la cèdera à son tour en 2023 au fonds d’investissement allemand Aurelius pour 238 millions d’euros.

Le naturel devient mainstream

Fragilisé par ces opérations et par les effets de la crise sanitaire, The Body Shop a souffert ces dernières années d’une concurrence croissante au sein d’un marché bouleversé par la baisse du pouvoir d’achat. Attirés par les petits prix, les consommateurs se dirigent désormais davantage vers la grande distribution, la vente en ligne ou encore les enseignes de destockage comme Action. Le secteur, complètement saturé, voit par ailleurs la “naturalité” s’étendre à de nombreux acteurs, soucieux de répondre aux nouvelles attentes des clients et à l’évolution de la réglementation.

Qualité des formules, sélection des actifs, impact du packaging… “Ces dernières années, certains éléments qui étaient propres à la cosmétique naturelle sont devenus des prérequis du marché au sens large”, explique Emmanuelle Dumas. Devenu mainstream, le naturel prôné par The Body Shop à ses débuts ne suffit plus à convaincre. Pour se différencier, les marques tablent désormais sur l’innovation, mais aussi sur le storytelling. “Qui de mieux que quelqu’un qui parle votre langage pour vous convaincre ? Aujourd’hui, le marché militant est occupé par de nouvelles marques de niche proches de leur communauté”, détaille Fred Ghenassia. Un discours largement déployé auprès des générations les plus jeunes sur les réseaux sociaux, aux dépens des acteurs historiques du naturel comme The Body Shop qui peinent de plus en plus à trouver leur place.

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