Publié le 18 décembre 2023
Changer la gouvernance des entreprises est un facteur décisif pour aborder la transition climatique. Adrien Couret, le directeur général d’Aema groupe, qui réunit la Macif et Aésio Mutuelle, estime qu’il faut injecter une dose d’Économie sociale et solidaire dans les conseils d’administration pour assurer un engagement collectif.

Alors que s’est terminée la COP28, comment identifiez-vous le risque climatique dans vos métiers ?

Pour créer une transformation profonde, il faut une performance dans la durée et cela, c’est la gouvernance qui le garantit. Or la gouvernance est un sujet que l’on élude toujours au profit de la forme ou de la couleur de l’impact des engagements. Aema est un groupe composé de deux mutuelles, la Macif et Aésio Mutuelle, qui pratiquent chacune une gouvernance fidèle au fait mutualiste. Les discussions sur les nouveaux projets ne s’orientent pas en premier lieu sur combien cela va rapporter, mais d’abord sur ce à quoi cela va servir. Par exemple, se posent les questions de savoir comment continuer à rendre l’assurance accessible malgré les conséquences du changement climatique, comment mettre en cohérence ces questions avec nos actes, etc. Cela conduit à mettre en place une politique climatique qui n’est pas le fait d’un “super-patron” providentiel comme dans d’autres entreprises, mais d’un engagement collectif.


Le sujet de la gouvernance des entreprises est encore peu abordé…

Il est à la fois peu documenté, sur le plan académique, et très sensible. C’est pourtant le cœur du réacteur, décisif pour transformer les entreprises. Une entreprise traditionnelle pourrait utiliser certains codes de l’Économie sociale et solidaire en mettant au cœur de leur décision leurs bénéficiaires. Si demain un groupe coté veut montrer qu’il prend à cœur le problème de l’environnement, il pourrait introduire dans son conseil d’administration, là où se déroulent les discussions les plus intimes de l’entreprise, des représentants de la société civile. Ce n’est pas si disruptif : comme la loi a déjà introduit l’obligation d’avoir des administrateurs salariés, nous avons donc acté le fait qu’il n’y ait pas que des représentants des actionnaires dans le conseil d’administration.

L’économie ne peut pas devenir sociale et solidaire à 100% demain, mais il est possible de déployer des pratiques intéressantes pour les entreprises qui veulent aligner leur activité avec l’évolution de la société. C’est au cœur du plaidoyer pour l’Économie sociale et solidaire que nous avons rédigé : face à la transformation nécessaire de l’économie, il faut faire entrer la société civile dans l’entreprise.

Comment traduisez-vous cela dans vos actions ?

En tant qu’investisseur institutionnel, nous gérons au travers de notre filiale OFI Invest 200 milliards d’euros d’encours issus de l’épargne de nos assurés. Notre particularité en tant que groupe mutualiste, c’est notre indépendance. Nous n’appartenons pas à d’autres groupes d’intérêts, nous avons donc une plus grande liberté dans nos décisions d’investissement. Nous avons été pionniers sur les logiques ESG, que nous pratiquons actuellement sur le maximum de nos actifs. Nous investissons également en direct dans des industries à impact, pour lesquelles nous consacrons une enveloppe de plus de 10 milliards d’euros pour financer des activités liées à la résilience climatique. Enfin, nous avons fait le choix d’utiliser l’engagement actionnarial, soit seuls soit de manière collective, pour faire avancer les ambitions climatiques des entreprises dans lesquelles nous avons investi.

Nous sommes également favorables à la mise en place de nouvelles réglementations qui aillent dans ce sens. Aema groupe a pris position dans le cadre du projet de loi Industrie verte et de l’amendement sur l’obligation de Say on climate. Un amendement retiré au dernier moment en Commission mixte paritaire, qui bénéficiait pourtant d’un large soutien transpartisan. Ce contretemps ne doit pas nous faire perdre notre détermination. Il reste indispensable que les entreprises rendent plus de comptes sur leur politique environnementale.

Envisagez-vous d’exclure les entreprises liées aux énergies fossiles ?

Nous sommes actionnaires d’entreprises comme TotalEnergies ou Engie, car nous considérons que c’est en tant qu’actionnaire que nous pourrons peser dans les décisions et pousser à la transition. Nous avons nous-mêmes des objectifs de décarbonation de nos portefeuilles, nous voulons donc faire levier sur ces entreprises pour qu’elles se transforment. Si elles ne le font pas, alors nous envisageons peut-être de partir. Mais il faut être lucide : si des actionnaires comme nous se retirent, ils laissent alors dangereusement la place à des actionnaires, notamment américains, uniquement tournés vers des perspectives financières.

Votre activité assurance est fortement affectée par les risques physiques, comment les prenez-vous en compte ?

Le changement climatique pose une question existentielle pour le secteur de l’assurance. La menace sur l’assurabilité des biens n’est pas de la science-fiction et elle va se concrétiser en France, comme c’est déjà le cas dans d’autres zones du monde. Les réponses à y apporter sont collectives et ne peuvent pas reposer uniquement sur les assureurs. Nous aurons d’abord besoin d’outils de gestion du risque plus adaptés, qui nous permettent d’intégrer dans nos comptes par des provisionnements le fait qu’il y a de plus en plus d’évènements climatiques, dont l’intensité ne fait qu’augmenter.

Nous sommes également confrontés au choix des réassureurs, depuis l’an dernier, à réduire leur exposition au risque. Les assureurs sont par conséquent beaucoup plus exposés. Les tempêtes qui se sont succédé en France ces derniers mois, et qui ont constitué le cinquième épisode de tempête le plus coûteux sur le territoire dans notre histoire récente, risquent d’être très problématiques si les réassureurs n’interviennent plus. Nous n’avons pas de réponses alternatives pour l’instant.

Enfin, il faut que le régime public-privé pour les catastrophes naturelles soit renforcé. C’est un système caractéristique du modèle français et un vecteur fort de solidarité. Il est cependant sous tension depuis quelques années du fait de l’augmentation de certains périls, notamment de la sécheresse.■

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