Près de 100 milliards d’euros sont investis dans les 183 fonds durables du panel de l’étude publiée par Novethic ce jeudi 23 novembre, avec le soutien de l’Ademe. Ils ont été sélectionnés pour leur positionnement engagé sur des objectifs durables mis en avant dans leur marketing. L’analyse menée par Nicolas Redon, expert finance verte de Novethic, avec l’appui de Myriam Menif, analyste ESG, s’est focalisée sur la capacité de ces fonds à orienter leurs investissements dans des entreprises en transition vers des modèles bas-carbone mais pas seulement.
La documentation est devenue extrêmement volumineuse depuis l’entrée en vigueur des normes techniques sur la règlementation SFDR au 1er janvier 2023. Pour les 183 fonds de l’étude, cela représente près de 3 000 pages dans lesquelles on retrouve à la fois leurs engagements dans les annexes précontractuelles et les informations concernant leurs portefeuilles actuels dans les annexes périodiques. De tout cela émergent paradoxalement très peu de données précises et d’indicateurs permettant aux souscripteurs de ces fonds d’être certains d’investir dans des entreprises en train d’aligner leurs modèles économiques sur l’Accord de Paris et les limites planétaires.
Le taux d’alignement moyen sur la taxonomie est de 14,5%
La taxonomie est, par exemple, encore très rarement utilisée. Seuls 77 fonds sur 183 fournissent une donnée d’alignement du chiffre d’affaires des entreprises sélectionnées selon les objectifs environnementaux de leurs fonds. Ce taux d’alignement moyen est de 14,5% mais ce qui est encore plus préoccupant est que la taxonomie est encore moins utilisée pour mesurer l’analyse du degré d’alignement des investissements (Capex) des entreprises. On ne le trouve que dans 18 fonds et le taux d’alignement moyen est de 7,4%. À ce stade, la stratégie européenne qui vise à faire financer le Green Deal par la finance durable, en se basant justement sur la taxonomie parce qu’elle s’appuie elle-même sur la science, est donc très loin de son objectif.
L’étude de Novethic permet de mesurer que l’appropriation des nouveaux modèles que doit entrainer la transition reste superficielle et sémantique. Par exemple, 62 fonds publient des indicateurs de contribution ou d’alignement sur les Objectifs de Développement Durable (ODD). Construits par les sociétés de gestion à partir de leurs propres modèles, ces indicateurs ne reposent pas sur des données ou des stratégies adoptées par les entreprises en portefeuille visant à maximiser leur contribution positive aux ODD et minimiser leur obstruction à leur aboutissement en 2030. Les indicateurs ODD ne peuvent donc au mieux mesurer que des intentions, le terme d’alignement parait donc mal choisi et entretient la confusion.
La moyenne des indicateurs précontractuels donnés pour chaque fonds est de 3,6. Sur le climat, l’indicateur favori des 183 fonds durables du panel de l’étude est la validation des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre des entreprises par l’initiative Science Based Targets. Novethic a mis en perspective ce type d’indicateurs avec d’autres systèmes d’évaluation de leur degré de transition et d’alignement sur les trajectoires de neutralité carbone.
“Faible crédibilité de la majorité des plans de transition”
Comme le souligne Nicolas Redon : “L’absence d’autres indicateurs montre la faible crédibilité de la majorité des plans de transition de grandes entreprises cotées. Nous nous sommes focalisés sur les entreprises ciblées par la coalition d’investisseurs de Climate Action 100+ pour montrer qu’aujourd’hui elles sont à la fois présentes dans les fonds de notre panel sur ce critère d’objectifs certifiés SBTi mais quand on utilise une autre méthodologie d’évaluation de la transition comme ACT, proposée par l’Ademe, on n’en trouve que cinq qui obtiennent une note supérieure à la moyenne (Iberdrola, NextEra Energy, Enel, SSE et Renault).”
D’autres études corroborent la faible part d’entreprises cotées bien notées sur l’ESG également dotées de trajectoires de transition crédibles. Selon le CDP par exemple, si 4 100 entreprises ont déclaré en 2022 avoir un plan de transition climatique aligné sur un objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C, seules 81 fournissent l’ensemble des indicateurs permettant d’évaluer la robustesse de ces plans de transition.
L’étude de Novethic donne une idée assez précise de la complexité de la situation actuelle où la règlementation incite les entreprises à avoir des plans de transition bas-carbone, en particulier la CSRD. C’est même au nom de cette future exigence que le projet de mise en place d’un Say on Climate en France a été abandonné par le régulateur. Au vu des données existantes et de l’absence d’indicateurs robustes sur la mise en œuvre des engagements de transition alignés sur la neutralité carbone, on comprend mieux l’hostilité dont ont fait preuve les émetteurs à l’égard de ce projet. Le problème est que, en l’absence de trajectoires de transition crédible chez les entreprises, non seulement le Green Deal aura bien du mal à devenir une réalité européenne mais en plus les investisseurs qui ont pris des engagements de neutralité carbone de leurs portefeuilles auront bien du mal à les tenir. ■