Inflation, mini-crise bancaire, croissance en berne… L’économie a connu plus de bas que de hauts en 2023. Les dirigeants des grands groupes cotés n’ont en revanche pas connu la crise, leurs rémunérations continuant de progresser bien plus vite que celle de leurs salariés. Outre-Manche, selon les calculs du High pay centre, les patrons du FTSE 100 touchent 109 fois le salaire médian. En France, ce ratio s’établit à 89 fois le salaire médian, selon l’étude annuelle de Proxinvest, qui évalue la rémunération dans son ensemble avec notamment la part fixe, le variable et la valorisation des attributions d’actions.
En moyenne, les présidents exécutifs des entreprises du SBF120 ont perçu 4,2 millions d’euros au titre de l’année 2022, et 6,7 millions d’euros pour les seuls dirigeants du CAC40. Des montants en baisse par rapport à l’année précédente, de 6% pour le SBF120 et de 15% pour le CAC40. Mais il s’agit d’une baisse en trompe-l’œil. “Elle est surtout liée au fait qu’en 2021, les montants des rémunérations étaient particulièrement élevés en raison d’un rattrapage post-Covid, analyse Charles Pinel, directeur général de Proxinvest. Mais la tendance de fond reste la même si on neutralise l’année 2021“.
Pendant la crise sanitaire, plusieurs dirigeants d’entreprises avaient ainsi renoncé à une partie de leur rémunération, par solidarité avec les difficultés connues par leurs employés mis au chômage technique. Mais dès 2021, ils ont récupéré leur “sacrifice” de l’année précédente, faisant de 2021 l’année de tous les records en termes de rémunération.
Un risque pour la cohésion sociale dans l’entreprise
Sans cette année particulière, les rémunérations continuent donc de progresser, de 14% par rapport à 2019 pour le SBF120, et de 29% pour le CAC40. “Ces montants sont publics. Aux dirigeants d’être attentifs à ne pas rompre la cohésion sociale dans l’entreprise. À une époque où le taux d’inflation est élevé, cela peut être mal perçu“, souligne Charles Pinel.
Les ratios d’équité montrent ainsi l’écart grandissant entre les dirigeants et leurs salariés. Ce ratio, très surveillé par les investisseurs, calcule le rapport entre la rémunération médiane des salariés d’une entreprise et celle de son dirigeant, Proxinvest le recalculant selon ses propres méthodes. Calculé sur l’ensemble du SBF120, il s’établit ainsi à 89 fois le salaire médian sur l’année 2022, son niveau le plus élevé si on exclut l’année 2021. Depuis 2014, la rémunération moyenne des dirigeants a augmenté de 62%, soit deux fois plus vite que celle des salariés qui n’a progressé que de 31%.
De son côté, Proxinvest surveille certains “drapeaux rouges” sur les rémunérations excessives, tels que la transparence du calcul de leur montant, leur structure pour s’assurer une part variable suffisante, le niveau d’alignement avec la performance de l’entreprise, etc. Mais aussi la somme finale, qui ne doit pas être trop importante. “Nous avons défini une limite à 240 Smic, au-delà, c’est un drapeau rouge. Cette année, cette limite a été dépassée par 26 dirigeants“, souligne Charles Pinel. Ils n’étaient que 14 en 2020 à la dépasser…
Des objectifs climatiques pas assez ambitieux
La tête du classement des plus hautes rémunérations se situe donc forcément au-delà du seuil. Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes, demeure en première place, avec 33 millions d’euros perçus pour 2022, dont 29,9 millions d’euros sous forme d’attribution d’actions. Il est suivi par Daniel Julien, PDG de Teleperformance, avec 19,7 millions d’euros, qui présente le ratio d’équité le plus élevé du CAC40. Enfin, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, arrive troisième avec 19,6 millions d’euros. Le groupe Stellantis a dû cette année faire un correctif à sa politique de rémunération des dirigeants après la grogne actionnariale de l’année précédente.
Point positif, les objectifs de la part variable reposent de plus en plus sur des critères liés au climat ou à l’environnement. Selon une étude réalisée par l’Institut français des administrateurs (IFA), Ethics&Boards et Chapter Zero France, 88% des dirigeants des sociétés du SBF120 ont au moins un objectif ESG dans leur rémunération, soit 105 entreprises en 2023 contre 95 en 2022. Mais là aussi, des progrès restent à faire. Elles sont beaucoup moins nombreuses à instituer à la fois des objectifs de court terme et de long terme (53%), qui poussent le dirigeant à mettre en place une stratégie climatique rapidement. L’étude questionne aussi le niveau d’ambition des objectifs climatiques mis en place, largement atteints par les dirigeants à plus de 112%, alors que les émissions de gaz à effet de serre globale ne cessent d’augmenter.
Quant au poids de ces critères dans la rémunération, il progresse mais demeure faible (6,3% de la rémunération court terme, 11,3% à long terme). Il s’agit encore “d’un axe de progrès“, estime Floriane de Saint-Pierre, fondatrice d’Ethics&Boards.■